
Ulrich Mott (Christoph Waltz), guide touristique à Washington, est passionné par la diplomatie. Ambitionnant de changer de métier, il épouse Elsa Brecht (Vanessa Redgrave), journaliste beaucoup plus âgée que lui dont le carnet d’adresses à l’intérieur du milieu politique est incommensurable, et devrait lui permettre d’approcher ses hauts modèles. Un soir, Elsa est retrouvée morte… Son mari annonce sa décision de trouver le coupable, tandis qu’aux yeux de la fille d’Elsa (Annette Bening), Ulrich l’a tué. Cette histoire vraie, adaptée d’un article du New York Times intitulé Le pire mariage de Georgetown, inspire au comédien Christoph Waltz sa première réalisation.
Le synopsis laisse attendre un drame judiciaire, mais les scènes de procès sont en fait peu nombreuses. Le film s’attache moins à ménager un suspense reposant sur l’identité d’un meurtrier qu’à sonder la trouble personnalité d’Ulrich Mott. L’enquête est rapidement délaissée au profit de nombreux flashbacks, qui permettent de mieux comprendre cet homme et d’en faire le portrait. Ulrich, personne aux dents longues, passe par plusieurs étapes comme autant de moments de mutation dans sa carrière : néophyte ambitieux, mari ou plutôt majordome au service de sa femme, organisateur de dîners mondains, négociateur au niveau international… En se servant du réseau de son épouse, il se fait un nom à Georgetown, quartier huppé de Washington, et parvient à rencontrer les plus grandes sommités du monde politique – jusqu’à recevoir Michel Rocard dans son salon.
L’ambition maladive du personnage a quelque chose du François Cluzet d’À l’origine (Xavier Giannoli, 2009), qui se retrouvait à la tête d’un chantier sans avoir aucune qualification. À la seule différence que lui ne construit pas des tronçons d’autoroute, mais tente de faire la paix dans le monde avec la sincérité du passionné. Il fait prendre tout son sens à l’expression « jouer dans la cour des grands » : il tient de l’enfant, en effet, qui veut se hisser à la hauteur des gens plus expérimentés. Sa femme (incarnée par la toujours formidable Vanessa Redgrave) le pousse à s’adresser au gratin politique lors des soirées de galas comme une mère inciterait son fils à parler à un groupe d’enfants pour mieux s’inclure. Une façon comme une autre de concevoir les relations diplomatiques et l’ascension sociale. Le personnage que le comédien, désormais réalisateur, s’est offert interroge ainsi la possibilité de se fabriquer une identité à partir d’un fantasme et d’une obsession. La mise en scène et la photo ne sont pas très inspirés, mais la thématique suffisamment forte pour que Christoph Waltz, qui sait mêler prestance et grain de folie, parvienne à nous intéresser à son développement.
Georgetown / De Christoph Waltz / Avec Christoph Waltz, Vanessa Redgrave, Annette Bening, Corey Hawkins / Etats-Unis / 1h39 / Sortie le 8 avril 2020 en VOD.