Madre

Au cinéma le 22 juillet 2020

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Jules Porier et Marta Nieto ©Manolo Pavón

Ecrivons-le d’emblée, la séquence d’ouverture de Madre est l’une des plus impressionnantes vues depuis un long moment sur grand écran. Une femme, un appartement, un coup de téléphone, le tout filmé en un seul plan-séquence : Elena (Marta Nieto), madrilène, se rend compte que son fils de six ans se trouve tout seul sur une plage à des milliers de kilomètres, où il passe des vacances dans les Landes avec son père. Il a peur, le téléphone menace de se décharger et un inconnu s’approche. Nous assistons, aussi impuissants qu’Elena, à la disparition hors-champ du garçon. Le suspense est haletant, l’émotion est rare. Un grand moment de cinéma.

Prolongement d’un court-métrage réalisé par Rodrigo Sorogoyen entre les deux films qui ont fait de lui un auteur important dans le paysage cinématographique européen (Que Dios nos perdone et El Reino), Madre est un drame puissant sur la perte et la reconstruction de soi. Le traumatisme vécu par Elena au moment de la première séquence précède une ellipse de dix ans. On la retrouve, seule, travaillant dans un café-restaurant au bord d’une plage française, près de laquelle son fils a disparu. A-t-elle encore l’espoir de le retrouver ? Les plans d’ensemble procurent un sentiment d’immensité au sein duquel se nichent toutes les difficultés rencontrées par Elena, à commencer par l’abandon et la solitude, causés par le délitement de l’espoir. L’horizon semble s’éclaircir lorsqu’elle croise un jeune garçon, client de son café. Cheveux bouclés, séducteur et juvénile, il s’appelle Jean (Jules Porier) et profite de l’été au bord de la mer. Il s’intéresse à Elena, elle a aussi envie de passer du temps avec lui. Elle commence à l’aimer d’un amour qui défie les conventions, ni classique ni maternel. Il résulte du trouble d’une femme perdue, privée d’une partie d’elle-même, qui a cruellement besoin d’amour et de vie.

La caméra ne quitte pas les tourments intérieurs de son héroïne. Une séquence la montre faire la fête avec un groupe d’adolescents, un moment d’ivresse gratuite à travers lequel elle cherche seulement à ressentir des choses. Eprouver des sensations pour se savoir exister. Rodrigo Sorogoyen réussit avec une grande sensibilité le portrait de son personnage principal, brillamment incarné par Marta Nieto, sans oublier de composer d’autres personnages tout aussi profonds. La mère du titre, c’est bien sûr la bouleversante Elena, mais c’est aussi celle qu’incarne Anne Consigny, la mère de Jean. Le regard qu’elle lance, à la fin, en dit long sur le chemin parcouru vers la compréhension. Ce trajet paraît somme toute assez classique, mais la façon dont il nous est suggéré singularise le film du début à la fin. Alors que dans El Reino, la virtuosité des plan-séquences construisait le film du début à la fin, Madre se montre encore plus dense, plus riche et plus abouti d’un point de vue formel. Et pourtant, on ne pointe jamais du doigt la maîtrise tout en la reconnaissant grâce à l’émotion procurée : c’est sans doute cela, la marque des grands cinéastes.

Madre / De Rodrigo Sorogoyen / Avec Marta Nieto, Jules Porier, Alex Brendemühl, Frédéric Pierrot, Anne Consigny / Espagne – France / 2h09 / Sortie le 22 juillet 2020.

Retrouvez notre entretien avec le réalisateur Rodrigo Sorogoyen.

2 réflexions sur « Madre »

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