
1990, l’Albanie communiste tente de se libéraliser et s’apprête à s’ouvrir à l’économie de marché. Le pays espère pouvoir rejoindre l’Europe, et reçoit dans ce but une délégation de diplomates. Au même moment à l’autre bout du pays, dans une prison encore remplie d’opposants politiques, un détenu est réveillé en pleine nuit et emmené en voiture par deux hommes du Parti. On ne lui dit pas pourquoi…
Entre reconstitution historique et fable politique, Le Dernier prisonnier met en scène un instant charnière, dans une atmosphère de fin du monde où certains s’accrochent encore à un modèle condamné qui accepte difficilement de rendre l’âme. Les teintes du film, d’un sépia délavé, évoquent selon le réalisateur la terne période communiste, mais baignent en fait le récit d’une atmosphère irréelle, presque onirique.
Le trajet effectué par Leo, ce fameux dernier prisonnier, et ses gardiens, reproduit rapidement à l’échelle miniature les tensions qui traversent le pays. Le héros, entre espoir et incertitude, ne sait pas si l’on veut se débarrasser de lui ou le sauver ; celui qui dirige l’expédition semble se résoudre à contrecœur au changement politique ; son homme de main reste quant à lui incapable d’envisager un autre monde que celui qu’il a toujours connu, et pour lequel il a aveuglément tout sacrifié. Les difficultés que rencontrent leur voiture, tombée en panne à peine quelques kilomètres après leur départ, font du véhicule une métaphore du pays, peinant à se diriger vers son propre avenir.
De cette situation, mi-amusante, mi-dramatique, résulte un ton absurde et pourtant inquiétant. La façon de filmer les personnages avec un recul presque comique pourrait évoquer Aki Kaurismäki ou Roy Andersson, si ces effets n’étaient pas si brefs et rapidement désamorcés par des éléments dramatiques. Dans le même temps, les scènes sont toujours chargées d’une symbolique politique (de jeunes institutrices évoquent l’éducation et le progrès ; un vieil ouvrier, les maux endurés par le pays ; une responsable locale du Parti, l’absurdité du système bureaucratique, etc.). Mais la réflexion de Bujar Alimani n’en est pas moins teintée de poésie ; un bel exemple en est donné par le motif de la soif irrésistible que semble ressentir un Léo toujours attiré par l’eau, qu’elle soit sous forme de fontaine, de source ou de rivière, et vers lesquelles il se précipite à chaque arrêt du véhicule.
On ne peut qu’être touché par la trajectoire parcourue par ce dernier prisonnier, aussi courte soit-elle ; si le film ne dure qu’une heure et quart, cette brièveté maîtrisée est justement ce qui donne au film la dimension d’un conte, et qui fait donc toute son originalité.
Le Dernier prisonnier / De Bujar Alimani / Avec Xhevdet Ferri, Viktor Zhusti, Richard Sammel / Albanie – France – Grèce / 1h17 / Sortie le 22 juillet 2020.