
À l’occasion de la sortie de Vaurien de Peter Dourountzis, le comédien Pierre Deladonchamps, révélé par L’Inconnu du lac en 2013, nous a reçu pour évoquer ses débuts et sa méthode de travail. Rencontre.
Vous avez fait une école de commerce avant d’entrer au cours Florent. Pourquoi ?
J’ai commencé le théâtre au lycée parce que ma copine de l’époque me proposait d’en faire. C’était un monde complètement inconnu. J’ai eu un coup de foudre pour la scène. Et j’ai continué à en faire, mais sans jamais envisager que ça puisse devenir mon métier. Puis, un copain de mon école de théâtre me dit qu’il passe le concours du cours Florent à Paris, et me demande d’être sa réplique. On part en bagnole jusqu’à Paris. « Monter à la capitale », comme on dit, nous, les Lorrains. J’ai passé l’audition avec lui et ils m’ont demandé si je voulais me présenter aussi. Finalement, nous avons été pris tous les deux.
À quel moment vous dites-vous que vous aimeriez en faire un métier ?
J’ai réalisé que le cinéma était magnifique parce qu’il y a une forme d’égalité des chances. Il faut réunir plein de hasards : la bonne personne, le bon moment, le destin, la chance, le talent. Mais tout le monde peut y arriver. Évidemment, j’ai eu beaucoup de chance parce que L’Inconnu du lac (Alain Guiraudie, 2013) a tout changé.
Comment êtes-vous arrivé sur ce projet ?
Je venais de quitter Paris parce que justement, ça ne marchait pas pour moi. C’était trop dur, trop stressant. J’attendais sans cesse que le téléphone sonne. J’ai donc arrêté pendant un an puis on m’a appelé pour un casting un peu particulier, parce que radical. Il y avait beaucoup de scènes de nu et donc possiblement beaucoup d’acteurs qui refuseraient de le faire. C’était ma chance.
Gardez-vous un bon souvenir du tournage ? Ce film est un peu un baptême du feu pour un jeune acteur.
J’en garde un excellent souvenir ! Alain Guiraudie est un homme d’une grandeur d’âme et d’une générosité qui m’ont beaucoup touché. C’est une expérience dont je me servirai toute ma vie.
Après ce film, vous avez eu plus de choix concernant vos rôles ?
Oui. Il s’est écoulé un an, après les Césars en 2014, pendant lequel il ne s’est rien passé. Mais c’était le temps que les choses se mettent en place. Il fallait juste être patient.
Est-ce que vous vous fixez des impératifs quant aux rôles que vous acceptez?
C’est une vaste question. Ça peut paraître bateau, mais je dirais d’abord que le parcours du personnage à travers le film m’intéresse. Il faut qu’il y ait une certaine évolution. Les gens à qu’il n’arrive rien, on ne veut pas en faire un film. Au bout de trois petits-déjeuners, on en a marre. C’est donc cela que je recherche en premier. Et ensuite, je dirais des auteurs. Ce qui va compter, c’est le réalisateur ou la réalisatrice et les partenaires. Je pense que c’est un travail qui doit rester artisanal, dans l’humain. J’ai envie d’être bien avec les gens avec qui je vais travailler. Il faut que ce soit des gens pour qui j’ai du respect et parfois aussi de l’admiration.
C’est ce qui vous a poussé à jouer dans Vaurien ? Qu’avez-vous pensé en lisant le scénario ?
En lisant le scénario, je me dis d’abord que c’est un contre emploi. Que c’est un film de genre. Et que ça change un peu des propositions qu’on m’avait faites jusqu’à présent. C’est très intelligent de vouloir montrer que la violence n’a pas de visage. Les gens qui violent, qui tuent, n’ont pas de visage. Voilà l’archétype du violeur, du pédophile ou du tueur. Ça m’a plu. J’ai donc voulu rencontrer Peter [Dourountzis, le réalisateur, NDLR] et on accroché tout de suite. Il m’a dit qu’il voulait absolument prendre Sébastien Houbani et Ophélie Bau, j’ai trouvé que c’était une excellente idée. Et puis ça m’a aussi fait plaisir que Peter vienne me chercher pour son premier film.
C’est un personnage assez mystérieux, qui ne dévoile jamais vraiment son identité. Comment pourriez-vous le qualifier ?
C’est un caméléon. On est même pas sûr de son prénom. On a l’impression qu’il vient de ce milieu, puis en fait, non. Il arrive toujours à s’adapter et à retourner la situation en sa faveur. Il se fond dans la masse.
C’est stimulant en tant qu’acteur de jouer un personnage aux multiples personnalités ?
Oui, il y a une part de jouissance. C’est dire que moi, Pierre, l’acteur, je joue un personnage qui lui-même se met en scène pour faire l’acteur. C’est rigolo. Il y a quelque chose d’un peu métaphysique qui me plaît.
Vous aviez discuté du personnage et de son passé avec Peter en amont du tournage ?
Je n’ai pas cherché sa back story. Ce ne sont pas des choses qui me nourrissent, c’est très abstrait pour moi. Mais on a beaucoup parlé sur le tournage. J’ai voulu faire une petite réunion avec lui pour lui dire ce que je voulais qu’on améliore ensemble. Il a très bien entendu. Lui aussi m’a dit des choses, il fallait qu’on se trouve. Ça m’a beaucoup touché parce qu’il ne voulait pas décider seul, ni me dire quoi faire sous prétexte que c’était son film. On s’est très vite rendu compte qu’on avait envie de travailler ensemble sur le personnage. On a beaucoup discuté, on avait une grande complicité sur le jeu, sur la mise en scène. On a travaillé main dans la main, c’était hyper agréable. Nous étions intéressés par le ressenti de chacun. Il faut savoir que ce film a été fait avec un budget dérisoire. C’est une de mes plus grandes fiertés.
Est-ce que le réalisateur vous laissait modifier vos dialogues ou vos mouvements ?
Il y a eu un peu de tout. J’aime bien demander aux réalisateurs la prise bonus. Une fois que la personne avec qui je travaille est contente, ça peut m’arriver de demander une dernière prise où je me lâche complètement. Les accidents sont moins contrôlés. J’aime le travail sur le plateau, la spontanéité, l’instinct. Si je me surprends moi-même, j’ai plus de chances de surprendre le spectateur. Il y a plein de petits moments volés comme ça. Par exemple, quand le mec me dit « fais gaffe, si tu continues à la regarder, je t’en colle une » et que moi je lui réponds «tu m’encules quand tu veux », ce ne n’était pas du tout voulu, je l’ai mal prononcé ou j’ai fait un lapsus, mais on l’a gardé !
Pouvez-vous nous dire un mot sur vos futurs projets ?
Oui, je suis à l’affiche d’une série Amazon Prime Video qui sort le 14 juin et s’appelle Mixte. Avec la relève des jeunes acteurs français. Et j’ai joué dans Eiffel, qui sortira le 25 août.
Propos recueillis par Chloé Caye le 2 juin 2021, à Paris.
Retrouvez notre critique de Vaurien.
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