
C’est en 2016 que le personnage d’Evan Hansen apparait pour la première fois sur les planches. L’adolescent le plus ordinaire de Broadway rencontre alors un succès épatant qui se solde par six Tony Awards. Il parait donc assez peu surprenant que Marc Platt (grand producteur de théâtre musical avant de devenir celui du film et père de l’interprète principal) cherche à entretenir sa bonne fortune en le projetant dans les salles obscures.
Evan est un garçon anxieux, très anxieux. Lorsque son camarade de classe se suicide, un quiproquo laisse penser à ses parents qu’Evan était le grand ami de leur fils. Le lycéen maladivement timide n’ose pas démentir car ce leurre lui permet d’obtenir tout ce dont il a toujours rêvé : une famille à l’écoute, de l’attention de ses pairs et, surtout, de Zoé, la jeune fille qu’il aime en secret et qui s’avère être la sœur du défunt.
L’œuvre d’origine est bien plus sombre qu’une simple ode aux adolescents perturbés ou une mise en lumière des différentes manifestations de l’anxiété. Le comédie musicale Dear Evan Hansen nous mettait face à un protagoniste prêt à mentir et profiter du deuil d’autrui pour être vu et entendu. Il nous montre l’enchainement d’événements terrifiant lorsqu’on n’ose pas à élever la voix au bon moment. Cet aspect très ambivalent – qui nous permettait de ressentir de la compassion envers le personnage sans jamais oublier qu’il ne méritait nullement les grâces qui lui étaient désormais accordées – était bien plus marqué dans la version théâtrale. Car la salle de théâtre est un lieu privilégier pour conserver un secret : le temps d’une soirée, entre quatre murs et quelques centaines d’inconnus. L’illusion d’être dans l’intimité des personnages ainsi que d’être témoin direct de leurs actions était sans faille. Face aux personnages il n’y a que le public : le mensonge perdure grâce à cet accord tacite passé entre les deux.
Ce que le cinéma peut cependant proposer que le théâtre ne peut pas c’est le contre-champ. Face aux personnages, il n’y a plus seulement les spectateurs. Un nombre infini de personnes peuvent se retrouver face à Evan Hansen et devenir à leur tour gardiens du secret. Et dans ce cas, comment mettre en scène l’aparté, non plus entre comédiens et spectateurs, mais entre deux personnages au milieu d’autres ? Le projet Cher Evan Hansen posait des questions pertinentes quant à l’adaptation de règles purement théâtrales au cinéma. Malheureusement, peu de réponses y sont données.
Les possibilités propres au cinéma sont brimées. À l’image, très peu de nouveauté. Les variation de temporalité et de lieux sont quasiment absentes; et le montage est celui de clips vidéos. Quant au mixage sonore, il est atrophié – car si les adeptes de la comédie musicale seront ravis de voir Ben Platt reprendre son rôle, la puissance de voix d’un interprète de Broadway n’est évidement pas faite pour être contenue dans les enceintes d’une salle de cinéma.
Au lieu de vouloir véritablement adapter l’œuvre à un nouveau support et par ce biais en révéler de nouvelles facettes, le réalisateur Stephen Chbosky ne propose donc rien d’autre qu’une transposition édulcorée, et c’est bien dommage.
Cher Evan Hansen / De Stephen Chbosky / Avec Ben Platt, Kaitlyn Dever, Colton Ryan, Nik Dodani, Amy Adams et Julianne Moore / États-Unis / 2h17 / Sortie le 11 janvier 2022.