Festival du film slovène 2022

1ère édition


© Affiche du festival, Sœurs de Kukla.

« Révéler le cinéma de Slovénie », telle était la promesse de cette première édition du Festival du film slovène à Paris. Au programme : un film de patrimoine et huit productions récentes, dont quatre courts-métrages.

Parmi les neuf films présentés, cinq étaient réalisés par des femmes. Ce choix de programmation se reflète notamment dans les sujets des films et leur traitement : les violences psychologiques et sexuelles étaient au cœur de trois courts-métrages. L’animation a été une façon d’aborder ces sujets difficiles pour deux d’entre eux, dont La vie Sexuelle de Mamie de Urška Djukić. Prenant comme base de travail des témoignages d’époque, une grand-mère fictive raconte sa vie de couple, illustrée par des dessins drôles et grotesques. Malgré le trait enfantin, il émane une certaine violence de cette animation instable, presque nerveuse, parfois dénuée de rapports d’échelle ou de perspective. Le récit met en lumière la violence de la domination masculine, aussi bien dans sa dimension psychologique que physique : lorsque le sujet du viol est abordé, l’image passe au noir. La vie sexuelle de Mamie soulève le constat dérangeant qu’il y a sans doute des violeurs parmi nos ancêtres, et que cette situation était socialement acceptée. Le film se termine sur une magnifique succession de portraits, renouant avec une des fonctions premières de l’image photographique : graver des visages inconnus pour l’éternité.

La vie Sexuelle de Mamie de Urška Djukić / © Varicoloured

Le second dessin animé de cette sélection, Steakhouse de Špela Čadež, prend pour départ une situation tout à fait banale : un homme cuisine un steak haché en attend que sa femme rentre du travail. Cette dernière étant en retard, le steak est trop cuit. Afin de faire culpabiliser sa femme, l’homme mange le plat comme si de rien n’était, le regard furieux. Si le récit n’a rien de spectaculaire, l’animation semi-réaliste mêlée à des couleurs délavées et un brouillard constant créent un véritable malaise. Jouant sur le silence et la lenteur, le film parvient à instaurer une certaine pesanteur, qui touche d’autant plus qu’on est face à une situation quotidienne où un homme laisse échapper toute sa toxicité.

Côté longs-métrages, Inventory de Darko Sinko s’est fait remarquer pour son originalité. Boris Robic, un simple professeur, est victime d’une tentative de meurtre. La police se montre incapable de trouver le moindre suspect. C’est le début d’un polar existentiel minimaliste dans lequel un homme plonge dans les tréfonds de l’incertitude. Le film baigne dans une ambiance étrange et insaisissable mêlant peur abstraite, inquiétante légèreté, doute existentiel et pulsions de violence. Si l’on sort quelque peu frustré du visionnage car on aurait aimé que le film aille plus loin, ce récit soustractif parfaitement mené continue de marquer le spectateur après son visionnage, à la façon des films de Bruno Dumont.

Inventory de Darko Sinko / © December

Sœurs de Kukla et Bitch, a Derogatory Term for a Woman de Tijana Zinajić étaient les deux films punk de la sélection. Le premier est une réappropriation féministe des films de banlieue mêlée à une esthétique arty, dans laquelle on suit trois sœurs se serrer les coudes pour s’affirmer dans un milieu violent, précaire et patriarcal. Le film joue les équilibristes : féministe mais pas misérabiliste, engagé sans être moralisateur, à la fois tendre et violent, énergique et morose, ce court-métrage est une franche réussite. Bitch, a Derogatory Term for a Woman se situe quant à lui dans un milieu plus bobo, celui des artistes provocateurs et décadents qui s’enferment dans des relations amoureuses incompréhensibles. Si le film confond un peu vulgarité et intensité, il dégage énormément de tendresse et séduit par son romantisme.

Enfin, mentionnons L’orchestre de Matevž Luzar, film choral en noir et blanc très réussi dont le ton et les personnages rappellent les nouvelles vagues d’Europe centrale. Cette première édition du festival révèle donc un cinéma slovène diversifié : si certains films sont un peu fragiles, ils ont chacun une personnalité et témoignent d’une grande sensibilité. On espère donc retrouver une sélection aussi riche l’année prochaine pour une deuxième édition !

Auteur : Corentin Brunie

Grand admirateur de Kieślowski, Tsukamoto, Bergman et Lars Von Trier, je suis à la recherche de films qui me bousculent dans mes angoisses et me sortent de ma zone de confort. Cinéphile hargneux, j’aime les débats passionnés où fusent les arguments de mauvaise foi. En parallèle de l'écriture de critiques, j’étudie le montage à l’INSAS et je réalise ou monte des courts-métrages à côté.

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