
En ce début de mois d’octobre, car nous nous accommodions difficilement du rythme de la rentrée, l’équipe de Culture aux Trousses a décidé de s’offrir un petit voyage, direction la Colombie. L’occasion de découvrir de vastes paysages, depuis Bogota jusqu’à la Sierra Nevada. L’opportunité de pénétrer un pays et ses cultures en constante transformation, de rencontrer ses habitants mais aussi ceux qui ont émigré, ses espèces animales, et inévitablement, ses Chiens qui Aboient (nom de l’association à l’origine du festival). Voici une vue d’ensemble de cette expédition. Voici notre panorama du Panorama du Cinéma Colombien, alors que ce dernier fêtait cette année ses dix ans.
Notre déambulation à travers ce territoire s’ouvre sur la forêt tropicale colombienne, sous le point de vue d’Andrés Ramírez Pulido. Nous plongeons avec La Jauría dans la glaçante histoire du jeune Eliú, co-auteur du meurtre commis aux côtés de son ami, El Mono. Les deux adolescents se retrouvent incarcérés dans le même centre pour mineurs, où, pour se soigner, ils suivent des thérapies et effectuent de durs travaux. Mais les revers du système font rapidement surface, alors que les tuteurs ne sont que le reflet de leurs détenus. Pulido expose à son spectateur l’illusion d’un monde bon, puis questionne la frontière entre le bien et le mal, quand soigner le mal par le mal s’avère peut-être comme la plus fructueuse des médications. Álvaro Fernández-Pulpeiro se concentre également sur un sujet social avec le documentaire So Foul a Sky. Il montre quant à lui deux réalités, celle de l’introduction clandestine de marchandise, de la dissimulation de l’emploi salarié, du trafic de devise, et celle que la radio magnifie. Une odyssée entre les frontières de la Colombie et du Brésil avec le Vénézuela.
Continuons ce tour d’horizon du pays en pivotant à présent vers sa communauté. Une riche sélection de documentaires dans la compétition des longs-métrages met en exergue la diaspora colombienne. Mis dos voces, avec ses lents plans horizontaux et verticaux, expose en long et en large le quotidien de trois femmes immigrées au Canada. Une œuvre sensible, qui laisse une grande place à l’imagination du spectateur tout en dressant un portrait manifeste. Lina Rodríguez retarde la révélation de l’identité visuelle des protagonistes, alors que la plus grande partie du film semble prendre la forme d’un podcast illustré, évoquant les processus d’intégration à un pays. Mais le processus de captation se révèle en fait lui-même, une véritable invitation à l’intégration. Si les images se concentrent sur le détail quand les voix rapportent des anecdotes, c’est parce qu’elles prennent le temps, crescendo, de s’installer, de décrire, pour dépeindre le général depuis le détail. Par l’image et le son, la vue et l’ouïe, la réalisatrice exploite les deux sens qu’offre le cinéma pour dépeindre et exprimer la frontière entre deux pays, deux langues, deux communautés, deux voix.
Nous descendons un peu plus au sud avec l’émouvant Squatters. Si les murs ont des oreilles, Catalina Santamaria est leur porte-parole. La réalisatrice installée au Etats-Unis nous fait revenir dans les années 80, notre œil par le trou de la serrure, dans les immeubles abandonnés mais pas inhabités du Lower East Side de Manhattan. À l’aide d’images d’archives et d’entretiens avec les squatteurs de l’époque – hauts en couleurs pour certains -, Catalina Santamaria redonne vie à deux lieux, anciennes résidences d’artistes : Puerta 10 et Umbrella House. Il s’agit d’une véritable œuvre de partage – pardonnez-nous l’euphémisme – de l’histoire d’un bâtiment, masquée par les ravalements de façade et par le temps. Il aurait presque été suffisant de s’en tenir au passé, sans faire de nous les témoins de l’évolution de ces lieux dans le présent. Non pas grâce à des murs de briques sinon à un animal disparu, le couple de réalisateurs Anja Dornieden et Juan David Gonzales Monroy s’attachent également au passé pour retracer l’histoire dans Her Name was Europa. L’aurochs de Heck est le fruit d’un mélange de plusieurs races bovines, tentative de reconstitution artificielle de l’espèce préhistorique par deux savants allemands de l’entre-deux-guerres. Si le long-métrage nous pousse à questionner les interventions humaines sur les écosystèmes ainsi qu’à réfléchir, à travers cet animal, aux origines de l’Europe, peut-être regrettons-nous les tentatives de formes plus légères finales, rendant le discours détonnant et confus.
Du côté de la compétition des courts-métrages également, la question de l’identité, de l’appartenance et des origines reste très présente. Ekobio, vainqueur du prix du Jury de la sélection, évoque les conditions de vie passées et présentes des noirs en Colombie, alors que le processus de captation est mis en abyme. On retient également Gloria, un délicat film d’animation sur un personnage en papier mâché entre craquements, fissures et la nature qui reprend ses droits.

Enfin, pour ses dix ans, les spectateurs du Reflet Médicis ont eu la chance d’assister à un panorama du propre Panorama du Cinéma Colombien. C’est ainsi que nous avons eu le plaisir de voir ou revoir six films ayant marqué l’histoire du festival. Projeté lors de la première édition en 2013, Corta, de Felipe Guerrero nous a complètement hypnotisés. Les plans du long-métrage, véritables tableaux vivants, offrent un accès cinématographique à la contemplation de l’action. Nous avons le temps et nous avons envie de prendre le temps, avec les personnages. Guerrero donne en cadeau à son spectateur l’opportunité d’une nouvelle conception de la durée. Il est immensément reposant d’observer, de décortiquer, et même de s’abandonner à rêvasser, alors que notre regard se livre à ce groupe de travailleurs cultivant la canne à sucre. Nous prenons conscience de la puissance des sons. En fermant les yeux, un feu brûlant pourrait tout aussi bien se confondre et s’apparenter à une pluie battante.
Ainsi ce termine notre voyage. Cette dixième édition du Panorama du Cinéma Colombien nous a présenté, au fil de ses successions d’images, une vision de la culture de ce pays, de sa communauté, mais aussi de ses travers. Pas de trompe-l’oeil dans ce panorama, les créatifs auteurs à l’origine des 47 œuvres projetées dressent un portrait depuis l’ombre des frontières, les maisons de corrections, les séquelles de la guerre, jusqu’aux émouvants moments de partage de la communauté et des dispersés de cette communauté à travers le monde. À toutes ces œuvres, ce qui est peut-être commun reste l’exposition et l’évocation des conditions de vies passées et présentes. On réserve déjà nos places pour l’année prochaine !
Palmarès du Panorama du Cinéma Colombien :
Prix du jury long-métrage : Entre perro y lobo de Irene Gutierrez.
Prix du public long-métrage : Alis de Clare Weiskopf et Nicolas Van Helmeryck.
Prix du jury court-métrage : Ekobio de Elkin Calderón et Diego Piñeros.
Prix du public court-métrage : Yoruga de Federico Torrado.
Prix Petit Chiot : La maison des crabes de Edgar Humberto Alvarez.
A reblogué ceci sur AnaLise.
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