Rencontre avec : Eva Husson

© Unifrance

Après une carrière d’actrice, Eva Husson se lance dans la réalisation. Mothering Sunday est son troisième long-métrage et premier en langue anglaise. À l’occasion du festival du film britannique, à Dinard, nous avons pu rencontrer la réalisatrice afin d’évoquer ses aspirations et ses inspirations lors de la création du film.

C’est un film très littéraire : les dialogues sont nombreux et la littérature joue un rôle primordial dans l’histoire ; comment s’est déroulé son écriture ?

C’est effectivement l’adaptation d’un roman par Alice Burch, qui a écrit le scénario. J’ai fait des études littéraires donc ce caractère littéraire était aussi important pour moi. J’ai reçu le scénario alors que je tournais une série d’action pour Amazon et je n’en pouvais plus ! Quand j’ai lu le scénario et ai vu cette qualité littéraire dans l’écriture de l’histoire mais aussi des personnages, ça m’a fait beaucoup de bien. En plus, comme ce sont des personnages anglais, il y a tout ce rapport aux non-dits, aux choses en creux, qu’on arrive pas à exprimer. J’avais perdu mon père peu de temps avant et cette histoire me permettait de parler du deuil, de manière littéraire, ce qui me correspondait un peu plus qu’une série d’action…

Dans le film, la question du deuil est intrinsèquement liée à l’époque de l’après guerre, pourquoi ce thème vous a-t-il touchée et inspirée ?

Quand j’ai fini le scénario, je me suis rendue compte que cela faisait écho à plein de choses de ma vie. En fait, je crois qu’on devient artiste, réalisateur ou écrivain pour ne pas devenir fou. C’était des choses qui m’habitaient et que j’avais besoin d’explorer. Le film me permettait d’explorer sans m’exposer. Après avoir lu le roman, j’ai pleuré pendant quinze minutes et je me suis dit que si j’étais dans cet état là, cela voulait dire que j’avais besoin de faire ce film. Que ça touchait quelque chose en moi que j’avais besoin de partager avec d’autres. Je crois beaucoup au travail de la réalisatrice comme d’une passeuse d’émotions. Le cinéma est le seul médium où si l’on fait bien son travail, on arrive à montrer aux autres le monde tel qu’on le sent. C’est quand même assez dingue comme possibilité de travail, c’est un grand luxe.

Ce passage d’émotions s’effectue également en collaboration avec les acteurs, comment s’est fait le casting du film ?

Alors moi je pars toujours du principe qu’il ne faut jamais se donner de limites. J’ai donc fait ma liste : Colin Firth, Olivia Colman, Josh O’Connor ; et tout le monde a dit « oui » ! 

Vous ne vous y attendiez pas ?

Pas vraiment ! Ça s’est fait avec une simplicité assez déroutante. En revanche, pour le rôle de Jane, cela a été un peu plus compliqué. La première actrice que j’avais envisagé pour le rôle n’était finalement pas très à l’aise avec les scènes de sexe et de nudité, ce sont toujours des choses assez compliqués. Mais lorsque j’ai rencontré Odessa, j’ai su que c’était elle. Elle incarne Jane de façon tout à fait spectaculaire ; avec ce mélange de force et de vulnérabilité. On demande souvent aux femmes d’être très fortes ou très vulnérables mais d’être les deux, c’est quelque chose que je vois beaucoup dans la vie mais assez peu au cinéma.

On voit le personnage de Jane à trois âges, à trois époques différentes, l’idée de cette construction temporelle vous est-elle apparue tôt dans le projet ? 

En théorie c’était très proche du scénario, mais en pratique nous avons passé sept mois en montage à s’arracher les cheveux. On avait un grand tableau en liège avec une photo imprimée de chaque scène. C’est une technique qu’un monteur m’a appris sur mon premier long-métrage et qui s’avère extrêmement pratique. C’est quelque chose dont je me sers énormément : avoir physiquement devant soi les images ça permet d’avoir une vision d’ensemble et d’y réfléchir à plusieurs, on gagne en efficacité.

Un autre aspect technique fondamental et propre au film est le cadrage, pourquoi avoir choisi ce format ?

Je réfléchissais aux références que les gens de 1923 avaient. Souvent les références qu’on a quand on grandit sont celles d’il y a dix ou vingt ans. En 1923, on a grandit principalement grandit avec la peinture. Or le format d’un tableau n’est pas forcément rectangulaire et allongé comme un écran de cinéma. Le format en 1.66 était le plus pictural que je pouvais trouver.

Beaucoup de plans ont l’apparence de natures mortes, on y voit des rideaux, des paysages, des draps. Ce travail sur la texture est-il important pour vous ?

Oui je fais très attention à ça. Je suis très tactile et le rapport entre le toucher et le visuel est donc très important pour moi. Ce que je trouve génial lorsqu’on a une cheffe décoratrice comme Helen Scott ou une costumière comme Sandy Powell c’est que ce sont des personnes qui comprennent vraiment ça. Nous avions beaucoup discuté au préalable des textures et je me suis énormément nourrie de leurs idées. La jupe d’Emma D’Arcy quand elle descend les escaliers est fabriquée dans une soie des années 20, et a donc un certain poids qui fait qu’elle bouge et capte la lumière différemment. Ça ce sont des moments de magie pure pour des cinéastes, c’est de l’or en barre ! On a juste à poser la camera et à fixer. On a aussi beaucoup travailler sur le grain avec mon chef opérateur, je voulais tourner en pellicule mais en pleine pandémie nous n’avons pas pu. On a donc essayé de faire en sorte que le grain de l’image se rapproche le plus possible de celui de l’ektachrome, la pellicule de l’époque. 

Avez-vous ressenti la même émotion lors de la première projection du film que celle que vous évoquiez à la fin de la lecture du roman ?

Ce qui me touche particulièrement ce sont les réactions des jeunes femmes et des jeunes filles lorsqu’elles voient le film. Car il y a beaucoup de scènes où Jane est nue et elles sont toujours assez étonnées mais soulagées de voir cette nudité naturelle, non-sexualisée. Ce corps qui peut-être plusieurs choses à la fois. Je trouve cela très émouvant.

Propos recueillis par Chloé Caye le 30 septembre 2022 dans le cadre du festival du film britannique, à Dinard.

Auteur : Chloé Caye

Rédactrice en chef : cayechlo@gmail.com ; 31 rue Claude Bernard, 75005 Paris ; 0630953176

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