Rencontre avec : Sophie Letourneur

© Denis Guignebourg

Trois ans après Enorme et son succès critique plus que mérité, Sophie Letourneur revient avec Voyages en Italie, une nouvelle comédie hors des sentiers battus, à l’ anti-romantisme rafraîchissant.

Comment est né le projet du film ?

Je l’ai écrit après un voyage en Italie que j’ai fait en 2016 avec le père de mon fils. Le voyage du film y ressemble beaucoup…

La plupart de vos films trouvent un ancrage dans une matière autobiographique, mais vous la remodelez de façon à mettre en lumière son caractère universel. Le générique d’ouverture de Voyages en Italie fait défiler des photos de couples anonymes en vacances en Italie. Était-ce une manière d’inscrire votre expérience individuelle dans une pratique finalement commune ?

Oui, je pense que c’est aussi pour cela qu’il y a un « s » à « Voyages » dans le titre. Quand on était en Italie, j’avais l’impression que tous les couples autour du nôtre faisaient le même voyage pour les mêmes raisons. J’ai trouvé ça drôle, et c’est ce qui m’a donné envie de raconter cette expérience.

Le pluriel du mot « voyage » est aussi un clin d’œil au Voyage en Italie de Rossellini, que le personnage de Philippe Katerine évoque avec Stromboli tandis que vous sillonnez la Sicile. Qu’est-ce que vous aimez dans le cinéma de Rossellini ?

Rossellini, c’est le premier cinéaste à mélanger des plans de documentaire avec des plans de fiction. C’est un pionnier pour cela. Et puis Voyage en Italie, c’est un film qui n’a pas été immédiatement compris à sa sortie. C’est un aspect que j’aime bien dans son travail : il fait de la recherche. Mais même si j’aime bien Voyage en Italie, je crois que j’ai une préférence pour Stromboli.

Dans une interview, vous disiez bien aimer « l’idée de revivre les événements, grâce à un film, pour comprendre ce [qu’il vous] est arrivé, pour que les choses ne s’arrêtent pas trop vite. » Est-ce que c’est pour cette raison que vous jouez dans certains de vos films ?

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Rencontre avec : Coline Albert

© Droits réservés

Last Dance, premier long métrage de Coline Albert, assiste avec douceur et intelligence la fin crépusculaire de Lady Vinsantos, drag queen célèbre dans le milieu underground de la Nouvelle-Orléans. La raison ? Son interprète, Vince DeFonte, ne supporte plus ce personnage qu’il incarne depuis des décennies et qui parasite sa vie. De la jeunesse à la cinquantaine, de l’Amérique à Paris, des rires aux cris, Coline Albert nous offre un documentaire saisissant, portrait d’un homme en crise et de son univers (trop ?) envoûtant.

Quelle a été la genèse de votre projet ?

J’ai rencontré Vince par hasard, aux champs de course, un espace très populaire à la Nouvelle-Orléans pour ses sorties et ses Bloody Mary. Il est arrivé après un spectacle, sans sourcil, avec quelques paillettes mais toujours son physique très masculin. Son aspect androgyne m’a tout de suite frappé. Il m’a raconté par la suite qu’il tenait une école de drag queen. Cela rejoignait mon projet de tourner un film sur la Nouvelle-Orléans et en particulier sur son énergie créatrice permanente.

Votre séquence d’introduction développe une atmosphère onirique, presque surréaliste, qui détonne un peu avec le reste du film, ancré dans le quotidien de Vince. Pourquoi ce choix de mise en scène pour ouvrir votre film ?

Le film découle d’un désir de faire un film sur la Nouvelle-Orléans, un endroit particulier où je devais tout de suite ancrer les personnages, leur univers. L’introduction présente une parade à Mardi Gras, une tradition locale, dont Lady Vinsantos était la Reine. Cette séquence souligne la présence de Vince dont le film épouse le caractère très sensible, sujet aux brusques changements d’humeur. C’est un homme très chaleureux, qui rigole beaucoup, et la minute suivante il montre un air plus sérieux, très grave, souvent triste.

Le microcosme autour de Vince est moins décrit comme une entreprise que comme une grande famille, alternative aux Drag Race notamment. Était-ce la raison principale derrière votre mise en scène très humaine, très proche des personnages ?

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Rencontre avec : Henrika Kull

Réalisatrice allemande, Henrika Kull était à Paris à l’occasion de la sortie de son deuxième long-métrage, Seule la joie. Nous avons pu la rencontrer et l’interroger sur cette histoire d’amour atypique entre deux travailleuses du sexe dans une maison close berlinoise.

Le film se déroule dans une maison close. Pourquoi avez-vous été attirée vers ce décor particulier ?

J’ai fait des études de sociologie et, en tant que sociologue, on est toujours intéressé par différents milieux. Ce n’est pas pour éprouver des sensations fortes, mais pour me rapprocher de ces gens, pour leur parler, pour essayer de comprendre un processus de stigmatisation à la fois très élémentaire et très complexe. Mon premier film était un court documentaire sur une maison close et après j’y suis revenue, pendant des années. L’endroit m’intriguait. Je ne cherchais pas à y trouver une histoire, mais quand j’y étais, je me disais que cet endroit devait figurer dans un film.

Comment travaille-t-on avec des acteur.rice.s au milieu d’un décor réel, c’est à dire avec en arrière-plan des non pas des figurants mais des personnes qui font leur travail ?

C’était un premier rôle pour les deux. Katharina, l’actrice de Sascha, avait déjà joué, mais jamais dans un long-métrage. En général, j’aime travailler avec des gens qui n’ont pas beaucoup d’expérience. On travaille ensemble sur la biographie des personnages, on va très loin dans leur histoire personnelle. C’est impossible de tourner de façon normale dans un environnement réel, avec des gens réels et toute une vie qui continue à se dérouler autour de nous. La façon de jouer est spécifique, très différente de ce que l’on trouve généralement dans un film de fiction.

Les corps représentés à l’écran sont différents de ceux que l’on a l’habitude de voir dans un film : Celui de Maria est tatoué, celui de Sascha, âgé par rapport aux standards de beauté de l’industrie. Même ceux des clients sont très variés. Qu’est-ce qui vous a donné envie de filmer ce genre de corps ?

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Rencontre avec : Eva Husson

© Unifrance

Après une carrière d’actrice, Eva Husson se lance dans la réalisation. Mothering Sunday est son troisième long-métrage et premier en langue anglaise. À l’occasion du festival du film britannique, à Dinard, nous avons pu rencontrer la réalisatrice afin d’évoquer ses aspirations et ses inspirations lors de la création du film.

C’est un film très littéraire : les dialogues sont nombreux et la littérature joue un rôle primordial dans l’histoire ; comment s’est déroulé son écriture ?

C’est effectivement l’adaptation d’un roman par Alice Burch, qui a écrit le scénario. J’ai fait des études littéraires donc ce caractère littéraire était aussi important pour moi. J’ai reçu le scénario alors que je tournais une série d’action pour Amazon et je n’en pouvais plus ! Quand j’ai lu le scénario et ai vu cette qualité littéraire dans l’écriture de l’histoire mais aussi des personnages, ça m’a fait beaucoup de bien. En plus, comme ce sont des personnages anglais, il y a tout ce rapport aux non-dits, aux choses en creux, qu’on arrive pas à exprimer. J’avais perdu mon père peu de temps avant et cette histoire me permettait de parler du deuil, de manière littéraire, ce qui me correspondait un peu plus qu’une série d’action…

Dans le film, la question du deuil est intrinsèquement liée à l’époque de l’après guerre, pourquoi ce thème vous a-t-il touchée et inspirée ?

Quand j’ai fini le scénario, je me suis rendue compte que cela faisait écho à plein de choses de ma vie. En fait, je crois qu’on devient artiste, réalisateur ou écrivain pour ne pas devenir fou. C’était des choses qui m’habitaient et que j’avais besoin d’explorer. Le film me permettait d’explorer sans m’exposer. Après avoir lu le roman, j’ai pleuré pendant quinze minutes et je me suis dit que si j’étais dans cet état là, cela voulait dire que j’avais besoin de faire ce film. Que ça touchait quelque chose en moi que j’avais besoin de partager avec d’autres. Je crois beaucoup au travail de la réalisatrice comme d’une passeuse d’émotions. Le cinéma est le seul médium où si l’on fait bien son travail, on arrive à montrer aux autres le monde tel qu’on le sent. C’est quand même assez dingue comme possibilité de travail, c’est un grand luxe.

Ce passage d’émotions s’effectue également en collaboration avec les acteurs, comment s’est fait le casting du film ?

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