Rencontre avec : Coline Albert

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Last Dance, premier long métrage de Coline Albert, assiste avec douceur et intelligence la fin crépusculaire de Lady Vinsantos, drag queen célèbre dans le milieu underground de la Nouvelle-Orléans. La raison ? Son interprète, Vince DeFonte, ne supporte plus ce personnage qu’il incarne depuis des décennies et qui parasite sa vie. De la jeunesse à la cinquantaine, de l’Amérique à Paris, des rires aux cris, Coline Albert nous offre un documentaire saisissant, portrait d’un homme en crise et de son univers (trop ?) envoûtant.

Quelle a été la genèse de votre projet ?

J’ai rencontré Vince par hasard, aux champs de course, un espace très populaire à la Nouvelle-Orléans pour ses sorties et ses Bloody Mary. Il est arrivé après un spectacle, sans sourcil, avec quelques paillettes mais toujours son physique très masculin. Son aspect androgyne m’a tout de suite frappé. Il m’a raconté par la suite qu’il tenait une école de drag queen. Cela rejoignait mon projet de tourner un film sur la Nouvelle-Orléans et en particulier sur son énergie créatrice permanente.

Votre séquence d’introduction développe une atmosphère onirique, presque surréaliste, qui détonne un peu avec le reste du film, ancré dans le quotidien de Vince. Pourquoi ce choix de mise en scène pour ouvrir votre film ?

Le film découle d’un désir de faire un film sur la Nouvelle-Orléans, un endroit particulier où je devais tout de suite ancrer les personnages, leur univers. L’introduction présente une parade à Mardi Gras, une tradition locale, dont Lady Vinsantos était la Reine. Cette séquence souligne la présence de Vince dont le film épouse le caractère très sensible, sujet aux brusques changements d’humeur. C’est un homme très chaleureux, qui rigole beaucoup, et la minute suivante il montre un air plus sérieux, très grave, souvent triste.

Le microcosme autour de Vince est moins décrit comme une entreprise que comme une grande famille, alternative aux Drag Race notamment. Était-ce la raison principale derrière votre mise en scène très humaine, très proche des personnages ?

J’avais d’adopté un angle plus underground, éloigné des canons mainstream aseptisés. C’est aussi pour cela que nous avons tourné à San Francisco, lieu de naissance de Vince et des mouvements queer des années 80 et 90, une époque très dure pour ces communautés. Suivre Vinsantos nous a permis de découvrir toute l’histoire et l’évolution de son milieu.

Vous travaillez sur des projets de fiction, notamment des séries. Diriez-vous que votre approche du documentaire en a été influencée ?

Le documentaire implique de fréquenter les participants en profondeur, de se familiariser pour pouvoir ensuite pouvoir retranscrire leur vie sur écran. Il ne s’agit pas non plus de les remettre en scène mais d’arriver à provoquer des situations. Pour Last Dance, je préfère utiliser le terme de « dragumentaire », car il étudie l’essence même de ce qu’est être une drag queen. La plupart des participants ne voulaient pas être filmés en dehors de la scène, dans leur quotidien. Ils cloisonnaient une partie d’eux-mêmes, alors je me suis surtout concentrée sur cet espace qu’ils créaient pour pouvoir se fonctionnaliser. Le sujet même du film amène une tension, une frontière très fine entre le réel et la fiction qui explique le souhait de Vince d’assassiner Lady Vinsantos. 

Last Dance dresse à la fois le portrait intime de Vince, celui de sa persona Lady Vinsantos et enfin collectif plein de vitalité des Drag Show à San Francisco. Avez-vous trouvé difficile d’atteindre un point d’équilibre entre ces différentes représentations ? 

L’histoire de Vince et de Vinsantos reste la colonne émotionnelle du film. Si j’ai aussi d’explorer toute la communauté qui l’entourait, il fallait que tout s’accorde de façon cohérente et le montage a été décisif. Par ailleurs, le tournage s’est étendu sur trois ans : la première année, nous n’avons filmé que deux semaines, pour voir si les personnages rentraient bien dans le cadre, s’ils y étaient à l’aise ; la deuxième année, nous avons fait trois sessions de deux semaines et la troisième année, environ six mois, qui correspondaient à la période juste avant le dernier show à Paris.

On entend parfois les médias discuter d’un acte de loi sur la discrimination sexuelle. Définirez-vous votre film comme intrinsèquement politique, et à cause de cela avez-vous été confrontée à des réticences de ce milieu contre sa représentation cinématographique ? 

Non je n’ai eu aucune forme de résistance, chacun était motivé et à l’aise devant la caméra. Ce sont tous des performeurs aguerris, s’offrir aux regards des autres ne leur fait pas peur. Malgré les réticences de Vince à faire un film engagé, je pense qu’il est difficile de parler du genre sans questionnement politique. De plus, étant féministe, cela m’intéressait d’aborder les façons dont le genre nous conditionnent et les différentes formes d’émancipation.

Propos recueillis par Mattéo Deschamps, le 1 février 2023 à Paris.

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