
Jules, une drag queen resplendissante est agressée un soir dans ce qui semble être un petite ville d’Angleterre. Après ce traumatisme, les couleurs se tarissent : les talons deviennent baskets, les jupes des joggings et les hauts arc en ciel des sweat-shirts monochromes. Mais alors qu’il s’apprête enfin à délaisser son canapé pour une piste de danse, Jules croise son attaquant dans un club gay. Commence alors un jeu de vengeance dangereux entre les deux, dans ce que les réalisateurs Sam H. Freeman et Ng Choon Ping appellent un « queer noir ».
Du milieu queer le film reprend les personnages, le vocabulaire, les mouvements, les idéaux et du film noir le rythme, le décor, le point de vue et les images. Femme se déroule presque entièrement de nuit : bords de route, boites de nuit, restaurants et ruelles sombres sont les terrains sur lesquels s’aventure Jules pour essayer de séduire Preston. Le but ? Réussir à filmer l’homme pendant une de leurs parties de jambes en l’air et poster la vidéo en ligne.
À partir de l’acte de travestissement de leur protagoniste Freeman et Ng parviennent à mettre en avant l’idée de celui de son antagoniste. Tout comme on se déguise en femme, on peut se déguiser en homme. Si l’on perçoit certains codes vestimentaires ou verbaux comme indicateurs évidents d’homosexualité il existe aussi des marqueurs d’hétérosexualité. En attaquant Jules alors qu’il était en drag, Preston lui ôte son camouflage au féminin, et en dévoilant aux yeux de ses amis et du monde la sexualité de Preston, Jules, à l’inverse, le priverait de sa dissimulation masculine. Les réalisateurs brouillent les frontières entre déguisement, dissimulation, envie et haine. Leurs deux personnages se tournent autour, leurs identités variables, leurs désirs flous.
Si ces thèmes pourraient être applicables à de nombreuses situations, il faut admettre que Femme est finalement peut-être trop fermé sur lui-même : non pas en dépeignant uniquement la communauté queer, mais seulement une certaine génération en son sein. Les cheminements intellectuels des personnages et les actions qui en découlent sont le fruit d’un système de pensée presque exclusivement réservé aux jeunes adultes de notre temps. Les deux réalisateurs ont le même âge que leurs personnages, qui ont le même âge que le public qui sera attiré par le film. Et si cela ne constitue pas nécessairement un défaut de l’œuvre, il est évident qu’il s’agit d’un témoignage d’un unique instant, dérisoire à l’échelle de l’histoire de la représentation humaine. Que restera-t-il de Femme dans 50 ans à peine ? Difficile à dire.
Il n’empêche qu’ici et maintenant, le film fait mouche. Freeman et Ng mettent en place avec un réel talent un suspens étouffant. Les éclairages nocturnes reflètent les pulsions changeantes dans les yeux des personnages et leurs motivations deviennent opaques. Les gros plans sur les géniaux George Mackay et Nathan Stewart-Jarrett empêchent tout prise de repères et nous garde à proximité de ces corps sans cesse transformés. Thriller nerveux et efficace dans sa réalisation, inventif et cru dans son récit, Femme est un premier film tout à fait convaincant.
Femme / De Sam H. Freeman et Ng Choon Ping / Avec George Mackay et Nathan Stewart-Jarrett / Angleterre / 1h39 / Prochainement au cinéma.