
C’est sur une terrasse baignée d’une lumière chaude et ocre, qui inondera de ses couleurs ardentes l’ensemble du film, qu’Houria, jeune danseuse algérienne, répète les pas tourmentés du cygne noir, casque sur les oreilles, souffle court. La caméra capture ses pointes abimées par les cours donnés par sa propre mère, qui s’entrechoquent, volent dans les airs- autant de plans qui annoncent ce dont la jeune femme talentueuse sera privée.
Houria travaille dans des hôtels la journée, femme de ménage avec son amie Sonia, économise afin de payer une voiture à sa mère, en pariant sur des combats de béliers illégaux, menés dans le noir de la nuit, dans un monde masculin, où les hurlements côtoient les coups que se donnent les bêtes. Le montage parallèle qui unit le combat à une représentation dansée montre à quel point la discipline relève d’une bataille incessante contre son propre corps, afin d’en repousser les limites, l’entrechoc des cornes appelant avec leur brutalité les pieds qui se cognent contre le sol, les bras qui enserrent les visages, les yeux revolvers, qui fixent le public, la sueur qui perle sur le front. Cette métaphore prend encore plus de sens lorsque Houria se trouve privée de ses jambes, après un accident, alors qu’elle est agressée par un ancien terroriste repenti, amorçant par-là les plaies encore ouvertes de l’Algérie et de sa guerre civile.
Silencieuse, traumatisée, elle apprend de nouveau à se servir de son corps meurtri, rencontre un groupe de femmes muettes avec qui elle se lie d’amitié et commence à leur apprendre des mouvements de danse contemporaine, qui laissent bien plus de place à l’expression du visage, des mains, des bras, ce avec quoi elles communiquent pour se faire comprendre : la langue des signes. La mise en scène tout en plans rapprochés, voire gros plans, enferme ces femmes dans leur chair abimée par les tourments de la vie, inspire cette urgence à s’exprimer, quoi qu’il en coute. C’est une ode à la liberté, au féminisme, à la jeunesse créative et à l’Algérie, terre blessée, mutilée, comme le corps en fragments d’Houria qui, par l’art, reprend vie.
Houria / De Mounia Meddour / Lyna Khoudri, Amira Hilda Douaouda, Meriem Medjkane / France, Belgique / 1h38/ Sortie le 15 mars 2023