
La jungle défile à l’écran, terre bleue, ciel violet, plantes oranges, rouges, vertes, un dessin d’enfant au milieu duquel un homme court. Nu, son corps d’un bleu pâle, il évite des balles invisibles, devançant à peine des soldats que l’on devine proches. Une balle l’atteint ; l’homme trébuche, tombe dans la boue, s’enfonce sous les bottes des soldats qui continuent à courir. Là où il a disparu, un arbre pousse, au tronc épais, immense, jusqu’à atteindre les cieux. C’est ainsi que commence l’histoire de Nayola : par un conte, mêlant guerre et naissance, et où demeure toujours une touche d’espoir.
Angola, 1995. Nayola travers le pays déchiré par la guerre civile, à la recherche de son mari, Ekumbi, disparu huit mois plus tôt. Angola, 2011. Dans un pays pauvre, au milieu des bidonvilles, Yara vit avec sa grand-mère. Nayola, sa mère, n’est jamais revenue. Yara fait du rap, distribue son disque, »Pays Nouveau », et fuit un Etat policier qui censure sa colère. Joan Miguel Ribeiro alterne les séquences entre ces deux époques : la destruction causée par la guerre répond aux lourdes séquelles qui pèsent sur le pays vingt ans plus tard, le mouvement incessant des armées et le périple de Nayola à l’enfermement d’un présent sans horizon.
Les couleurs sont vives, crues, éclatantes ; Nayola ne laisse pas de place pour la dissimulation. Les corps explosent à l’écran, sont abattus en arrière-plan, et les nourrissons pleurent sur les cadavres de leurs mères. Le contexte n’importe pas, les camps encore moins. Ce qui compte ce sont les familles déchirées, l’absurdité d’un conflit dans lequel un oncle est mis en joue par son neveu et l’envoie retourner chez sa mère. Ce qui compte, c’est le tireur d’élite qui joue un air tendre et grave à la fois sur une guitare, la fête improvisée dans les ruines d’une ville, l’infirmière étrangère qui berce un orphelin dans ses bras alors que les balles pleuvent autour d’elle. C’est la douceur arrachée à Nayola, ces dessins glissants aux lignes effacées dans lesquels deux corps se mêlent, heureux, amoureux, rejoints par un enfant dont les contours se fondent dans ceux de ses parents, avant que la guerre ne vienne les séparer de force. Nayola ne se bat pas pour tuer. Elle préfère même ne pas se battre du tout, et enterrer des mines inoffensives pour faire pousser des plantes plutôt que des squelettes.
Dans cette animation hypnotique, changeante au gré des époques, glissant d’une 2D traditionnelle à une 3D plus moderne, le réalisme brutal de la guerre se mêle à des ombres fantastiques, à des os sortant de terre, à un bazooka se transformant en serpent. Nayola est un conte, sur la cruauté de la guerre mais aussi sur les esprits qui survivent dans les confins du désert où l’on peut être suspendu à la lune pour vomir tous les déchets toxiques de la violence – cadavres, armes, avions – en un flot de rouille qui, heureusement, trouve une fin. Les masques, objets de communion, se retrouvent gravés dans le visage même des personnages, révélant plus qu’ils ne cachent, symboles de protection et de résilience. Magnifique portrait de trois femmes, Nayola est un récit tentaculaire aux détours imprévisibles, qui sait se faire aussi dur que son sujet, sans jamais arrêter de préserver, même au plus profond de l’horreur, des moments de beauté et de tendresse qui bourgeonnent comme autant de promesses d’espoir – minuscules, mais bien présentes.
Nayola / De José Miguel Ribeiro / Avec Ciomara Morais, Angelo Torres / Portugal, Belgique, France / 1h23 / Sortie le 8 mars 2023.