Anatomie d’une Chute

Festival de Cannes 2023

© Le Pacte

Le film de procès est un genre en soit au cinéma, le tribunal a semble-t-il quelque chose d’attrayant à la mise en scène, sa propre propension aux décors et costumes sûrement. Attrait toujours d’actualité, puisque Cannes a aussi vu cette année Le Procès Goldman de Cedric Kahn, tout comme sortait Mon Crime de François Ozon en début d’année. Justine Triet prouve avec Anatomie d’une chute que le genre est non seulement vivace mais qu’il est encore propice à la réinvention.

Sandra est une écrivaine reconnue, elle vit isolée dans montagne avec son compagnon Samuel et leur fils non-voyant Daniel. Alors qu’un jour Daniel part en promenade avec Snoop, son chien (et quel chien !), il retrouve son père mort devant sa maison. Une enquête s’ouvre et très vite le doute surgit, homicide ou suicide ? Un an plus tard, le petit Daniel assiste au procès de sa mère accusée d’avoir assassiné son mari. Le tout tournant vite à une sorte de psychanalyse de couple, de plus en plus intime, de plus en plus crue.

La justice est aveugle, Justine Triet ne part pas de ce principe, elle le construit. Puisque fi pour le spectateur du verdict final du jury, il se sera lui-même fait son idée.  Mais que faire quand les preuves manquent ? Quand presque tout n’est que spéculation ? Qui entendre ? Puisque l’important semble-t-il n’est pas la vérité mais de convaincre jury (ou spectateur), comment comprendre ?Quand il n’y a pas de certitude, interrogeons les doutes. Ou comme le dit Daniel, « quand on a pas trouvé comment, il faut se demander pourquoi ». Mais tous couples a des raison de de s’en vouloir, toutes disputes devient mobile, toute rancœur se mue en potentielle vengeance. 

C’est ici que la dichotomie intervient, Triet filme le procès comme une scène, non pas pour en montrer l’artifice mais pour en faire une place de conteur, où chacun va y raconter son histoire, plus ou moins vraie, au degré de croyance qu’on lui accorde. Là est tout le génie du film, le degré de croyance. L’on croyait être devant une critique judiciaire, nous voilà face à un questionnement métaphysique, peut-on croire sans preuve, qui peut-on croire sans preuve. La justice ne tient finalement plus de la certitude mais de la conviction. Alors tout sonne excessif, on devient quasi rituel dans ses exclamations, on invoque la vérité, que l’on tort comme pour l’exalter. Pour mieux y croire. Car chaque parti a finalement ses arguments, il s’agit presque de choisir son préféré. C’est aussi là une différence entre restituer et reconstituer. Triet ne fait ni l’un ni l’autre, elle laisse le doute exister, nous montre la justice comme une fiction sociale nécessaire à laquelle il faut adhérer. Elle nous rappelle ainsi que chaque axiome de notre société est bien finalement une croyance établie pour vérité.

Si l’on croit c’est aussi grâce à l’interprétation, tout ici sonne juste, chacun, du chien à Swann Arlaud (l’avocat de la defense) et Sandra Hüller (Sandra) en passant par Milo Graner (Daniel), Antoine Reinartz (l’avocat général) et tous les autres. Notons également les cadres, vivants et organiques, donnant corps aux affectes face à la froideur du récit. Une vraie réussite.

Anatomie d’une chute / De Justine Trier / Avec Sandra Hüller, Swann Arlaud, Milo Graner et Antoine Reinartz / 2h30 / France / Festival de Cannes 2023 – Compétition officielle

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