
Ana (Carla Maciel) vit avec Victor (Paulo Calatré) dans un petit village au nord du Portugal. L’une est femme de ménage dans un manoir inhabité, l’autre est ouvrier. Leurs enfants sont grands et étudient loin d’ici, « ils font des études pour ne pas finir comme nous », explique le mari. Ce couple encore fougueux souhaite à présent s’exiler, pour le travail, en France. Mais Emilia (Fátima Soares), la gouvernante qui œuvre à l’entretien de la maison aux côtés d’Ana depuis de nombreuses années, est soudain frappée de maladie. Ana reste, son conjoint part, leur fille vient les retrouver.
L’action de ce long-métrage se situe dans un lieudit, ravissant paysage en hauteur, à la bordure d’une vallée souvent nuageuse, Légua. C’est sur cette même image qu’apparaissent à l’écran ces cinq lettres. Voici le point de vue qui viendra ponctuer le film jusqu’à sa fin. Comme pour nous rappeler le temps qui passe, malgré les mouvements humains, malgré les corps qui se fanent, certaines choses restent inchangées et demeurent des points de repère.
À Légua, tout semble ordinaire, et quand les choses prennent un tournant trop sensationnel, le trivial de la réalité revient vite faire surface : la présence d’une bouillotte pendant une ardente scène d’amour ou le retour à la banalité de la vie quand une musique se termine après un moment fou de chant, et que l’on est seule, dans sa salle de bain, comme cette mère de famille.
Dans cette histoire où cohabitent trois générations, l’ancien monde rencontre le nouveau, dans un Portugal encore empreint de traditions – mis en exergue dans l’attachement d’Ana à Emilia et à cette maison qui paraît pourtant oubliée des propriétaires, partis vivre à Lisbonne. Un sujet fort, ancré au cœur de la réflexion de ce peuple, et dont nous retrouvons aujourd’hui la profondeur dans le cinéma portugais : Claudia Varejão illustrait également de manière brillante ces composantes dans son docu/fiction Loup & Chien.
Quand Emilia écoute en fermant les yeux des prières récitées à la radio dans une ambiance macabre, Ana se réjouit d’écouter des chansons populaires portugaises et sa fille rêve quant à elle de rentrer à Porto pour profiter des soirées trance. Les différentes générations se soutiennent et se querellent. Si le long-métrage réussit avec malice, sobriété et pudeur à décrire sa société morcelée, on regrette une abondance d’effets et métaphores symboliques comme visuelles, venant alourdir le récit.
Légua / De João Miller Guerra, Filipa Reis / Avec Carla Maciel, Fátima Soares, Vitória Nogueira da Silva / Portugal / 1h59 / Sortie le 13 décembre 2023.