
« Pour comprendre Lee Miller, il faut prendre en compte toute son expérience de vie. On la réduit souvent à son statut de mannequin, de muse, de photographe de mode ou de cuisinière. Si vous prenez n’importe laquelle de ces étiquettes isolément, vous ne pourrez pas comprendre la vraie Lee Miller. Il faut regarder l’ensemble pour vraiment appréhender qui elle était, comment elle en est arrivée à faire les photos qu’elle a faites, et pourquoi. » Dans une Grande Traversée que France Culture consacrait à Lee Miller, la conservatrice de musée Hilary Roberts pointait du doigt un écueil récurrent lorsqu’on évoque la vie de l’artiste. Par excès de zèle, Kate Winslet et Ellen Kuras répètent l’erreur dans leur biopic Lee Miller en se focalisant sur l’étiquette ‘photographe de guerre’ pour les besoins d’un film épique aux accents mélodramatiques. Le résultat rend un maladroit hommage à cette artiste extraordinaire.
Reposant sur le dispositif éculé du « Je me souviens » qui tapisse le film d’une voix off, le biopic se concentre sur un moment charnière dans la vie de Lee Miller, son expérience comme photographe envoyée par Vogue US en France au moment de la Libération. Tout ce qui ne participe pas à brosser le portrait d’une femme indépendante et forte est éludé. Sa relation avec Man Ray, essentielle pour comprendre son travail photographique, est passée sous silence. Ses amitiés avec Paul Eluard, Picasso et leurs compagnes respectives sont simplement prétextes à de jolies scènes tournées dans le sud de la France et à l’introduction d’un casting girl power qui vend du rêve à l’international (Marion Cotillard et Noémie Merlant interprétant respectivement Solange et Nush). Enfin, son rapport délicat à la maternité, pourtant si important pour la connaître, est à peine esquissé dans les dialogues avec son fils qui ponctuent le film.
La scène inaugurale est le premier symptôme de cette essentialisation. On veut nous montrer une femme d’action courageuse, dévouée à son ‘métier-passion’, et l’on profite de l’ouverture du film pour placer (assez peu subtilement, il faut dire) l’une de ses plus célèbres photographies. Filmée caméra à l’épaule, Lee Miller tente d’échapper aux mitrailleuses et aux bombes dans les ruines d’une ville dévastée. Enfin abritée, elle dégaine son appareil pour photographier une botte d’où sort une ceinture de munitions. Des coups de feu, une explosion, de la poussière. Beaucoup, beaucoup de poussière, pour faire apparaître l’actrice Kate Winslet dans un joli sfumato, et un ralenti, pour finir la scène en beauté.
Le film transpire un féminisme pataud et didactique, abusant de la licence poétique pour instrumentaliser la figure de Lee Miller et en faire un porte-étendard de la sororité. Plusieurs scènes sont ainsi inventées dans les brèches du livre écrit par le fils de Lee Miller : le sauvetage in extremis et héroïque d’une jeune Française sur le point d’être violée, le dialogue pathétique avec une femme bientôt tondue pour avoir couché avec un Allemand. Ce dernier exemple illustre l’un des problèmes du film : Lee Miller a fait un portrait saisissant d’une de ces femmes tondues à la Libération, et il n’était pas nécessaire d’en surligner ainsi la portée. C’est le paradoxe de ce biopic : il porte sur une photographe mais il n’a pas confiance en son sujet, il oublie que les images parlent par elles-mêmes. Et mis à part quelques plans filmés depuis l’objectif du rolleiflex de Lee Miller, il n’y a pas véritablement d’idée de mise en scène de la création photographique. Finalement, le diaporama qui accompagne le générique en égrainant les vraies photos de Lee Miller est plus émouvant et plus percutant que tout ce qui le précède.
En réalité, Lee Miller a plus d’intérêt pour le portrait qu’il brosse en creux (et sans doute inconsciemment) de Kate Winslet, que pour celui qu’il esquisse laborieusement de l’artiste éponyme. C’est en effet l’actrice qui est à l’origine du projet, qu’elle porte depuis plusieurs années : tout est parti de son coup de foudre pour la photographe, et cela transparaît dans son investissement dans le rôle. Mais il demeure un hiatus entre la bonne volonté de Kate Winslet et le résultat : l’enfer est pavé de bonnes intentions.
Lee Miller / De Ellen Kuras / Avec Kate Winslet, Andy Samberg, Alexander Skarsgård, Marion Cotillard / 1h52 / Royaume-Uni / Sortie le 9 octobre 2024.
Je suis déçue. J’attendais beaucoup de ce film sur une femme photographe à la personnalité si complexe : Muse, mannequin et égérie du surréalisme, cette femme avec sa blessure enfantine, s’est placée dans les pas de l’histoire avec une telle intensité qu’elle a brûlé le reste de sa vie … plusieurs critiques et la tienne me font fuir ce film !
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