
« On n’est peut-être pas fait pour un seul moi. On a tort de s’y tenir. Préjugé de l’unité. » – Plume, Henri Michaux, 1938
Le panorama est ce qui nous fait voir de haut. Dans un paysage tout peut sembler minuscule ou interchangeable, et seulement quelques silhouettes se distinguent au milieu d’un tapis de similitudes. Le panorama désigne aussi un trompe l’œil : une peinture se faisant passer pour une vitre, mais qui n’est qu’un mur recouvert d’imitations.
Queerpanorama regorge de personnages aux caractéristiques variées et nous donne un vaste aperçu du paysage queer masculin d’Hong Kong. Le héros, dont nous ne connaîtrons jamais le véritable nom, collectionne les rendez-vous érotiques. “J’écrirai peut-être sur nous”, telle est sa biographie sur une application de rencontre. Loin de vouloir dresser de grands portraits romanesques, il s’approprie toutes les personnalités des amants qu’il côtoie. Ainsi naît l’hypothèse d’un monde où les identités seraient poreuses, où même les chromosomes pourraient se découper pour être associés, selon les dires d’une de ses rencontres. Les corps se croisent de très près, les personnalités sont déchiquetées, entremêlées, empruntées.
On pourrait reprocher au film son effet catalogue, mais si les rencontres suivent toutes le même schéma (une très brève présentation, puis une scène de sexe suivie d’une discussion), elles n’ont jamais le même rythme. Les partenaires rencontrés viennent des quatre coins du monde et ne se ressemblent pas : branché, banal, mélancolique… autant de fantômes à incarner. Les dialogues ont ce ton rohmérien offrant une sensuelle gravité aux apparences les plus légères. Les discussions comme les scènes de sexe sont filmées principalement en plan fixe, avec une certaine distance qui donne une dimension picturale : chaque rencontre se regarde comme un paysage à la photographie impeccable. Les personnages se font souvent face, de profil, comme si chacun pouvait devenir potentiellement le reflet de l’autre.
Queerpanorama se détache de toute temporalité : les rendez-vous surviennent sans historique, et si les applications de rencontres sont mentionnées, on ne voit jamais aucun smartphone. Le noir et blanc donne une impression presque nostalgique au film, assimilable à une profonde errance : dans la ville de Hong Kong, dans la nature, et entre les individus. La solitude du personnage se ressent, notamment lors des scènes de soin : épilation et maquillage servent d’interludes entre les rencontres, dans un intérieur énigmatique n’obéissant à aucune norme (la baignoire est remplacée par une piscine gonflable).
Jun Li réussit à dresser un véritable panorama de différentes identités queer, tout en montrant toutes les ambivalences qu’elles sous-entendent, notamment dans celle du personnage principal, pour qui le Je devient un travestissement et une quête inépuisable. Queerpanorama nous invite aussi à réfléchir sur cette accumulation frénétique de dates : ceux-ci viennent combler un vide qui semble aussitôt se renouveler. Les solutions ne paraissent qu’éphémères, comme les identités, et le vagabondage reprend entre le désir et l’ennui.
Queerpanorama / De Jun Li / Avec Jayden Cheung, Erfan Shekarriz, Sebastian Mahito Soukup, Arm Anatphikorn / Hong-Kong / 1h27 / Sortie le 26 novembre 2025.