
Le quotidien ritualisé de Lucky (Harry Dean Stanton), 90 ans, a des allures d’Un jour sans fin. Dès son réveil, la succession de ses gestes est parfaitement réglée, comme ses activités : café, mots croisés, mêmes émissions TV, puis il retrouve ses camarades de bar. Dans son village au beau milieu du désert, il est profondément indépendant et vit au rythme de ses habitudes. Autonomie illusoire ? Son visage creusé et sa silhouette longiligne le rendent à la fois respectable et fragile. Lorsqu’il fait une chute sans en trouver la cause, il constate que toutes les belles choses ont une fin. Dans l’ouest américain, les cow-boys solitaires vieillissent aussi.
L’aspect testamentaire de Lucky est évident. Le film écrit spécialement pour Harry Dean Stanton, décédé trois mois avant la sortie du film, résonne comme un adieu bouleversant. Comme dans Paris, Texas, l’acteur incarne un homme apparemment seul, engagé dans une quête spirituelle transformant le film en méditation. Ici, la méditation est collective : l’acteur donne notamment la réplique à David Lynch avec qui il a collaboré à cinq reprises. Le personnage qu’interprète le réalisateur de Twin Peaks prépare d’ailleurs lui-même son testament. Inquiet pour son héritage, il veut tout léguer à sa tortue terrestre qui pourra vivre jusqu’à 200 ans. Si tout a une fin, que nous restera-t-il et quelle trace laisserons-nous ?
John Carroll Lynch, acteur remarqué dans quelques uns des grands films américains de ces dernières années (Fargo, Gran Torino, Shutter Island, Zodiac), réussit avec brio son premier passage derrière la caméra. Il parvient à poétiser l’évocation de la mort sans jamais la rendre pesante. Tout se magnifie dans des moments de grâce, lorsque Lucky entonne une chanson pour l’anniversaire d’une voisine, ou à travers des plans crépusculaires qui vaporisent sa démarche et l’inscrivent dans la mythologie du western. Le film est une ode poignante à la joie dans laquelle une chose est sûre : Lucky a de la chance de vivre.
Lucky / De John Carroll Lynch / Avec Harry Dean Stanton, David Lynch, Ron Livingston / Etats-Unis / 1h28 / Sortie le 13 décembre 2017.
Une réflexion sur « Lucky »