
Ming Zhang s’est inspiré d’une expérience vécue lors d’une randonnée, il y a 10 ans, pour imaginer The Pluto Moment, qui met en scène l’errance d’un réalisateur et de son équipe lors de repérages dans les montagnes chinoises. Soumise au hasard et aux aléas naturels, l’ambulation des personnages se prolonge progressivement en une quête mystique, motivée par le désir d’entendre et de capter le « récit des ténèbres », un chant traditionnel entonné après la mort d’un individu. Si cet enjeu dramatique n’atteint pas le stade de l’envoûtement, il y a, dans ce film qui montre le cinéma comme une recherche infinie, un questionnement pertinent sur le regard de l’artiste – cela passe par le pathétisme du héros réalisateur, qui devrait arriver à voir ce que les autres ne voient pas, ou encore cet étonnant changement de point de vue final avec la jeune paysanne.
La mise en abîme a le mérite d’investir un moment peu représenté au cinéma, à savoir les prémisses d’un tournage, et permet la cartographie d’un territoire peu connu, celui des forêts de la Chine reculée du sud-est, région en train de se dépeupler, loin du tumulte des villes mondialisées qui font le décor de trop nombreuses productions chinoises contemporaines. Elle éclaire la psyché de Ming Zhang, réalisateur qui se fraye un chemin singulier dans le cinéma chinois depuis la fin des années 1990. La fin du film, qui coïncide avec la fin des repérages, finit de donner à voir les tourments et les difficultés intrinsèques à la volonté de créer : The Pluto Moment ressemble à une sculpture non finie, qui séduit en prenant le temps de déployer une esthétique de l’inachevé très personnelle.
The Pluto Moment / De Ming Zhang / Avec Miya Muqi, Xue-bing Wang / Chine / 1h52 / Présenté en 2018 à la Quinzaine des réalisateurs (Festival de Cannes).