Sorry we missed you

Au cinéma le 23 octobre 2019

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©Joss Barrat

Après Moi, Daniel Blake, Palme d’or en 2016, qui mettait en avant les conséquences de l’austérité politique britannique sur la gestation des services sociaux, Ken Loach s’empare de la question de l’uberisation. Toujours en prise avec les inégalités que le libéralisme et le capitalisme ont laissées s’installer, le cinéaste anglais dénonce ce qui étouffe encore un peu plus les classes ouvrières. Sa colère ne s’amenuise pas, et elle est toujours aussi communicative.

Le film commence par un fond noir, sur lequel un homme énumère une liste de boulots manuels qu’il a enchaîné ces derniers mois. Cela ressemble à un entretien d’embauche : l’image apparaît et nous le confirme, Ricky s’adresse bien à son futur employeur. Le dialogue commence sous les meilleurs auspices, car il est déjà engagé… Son nouveau travail ? Livrer des colis à domicile pour une entreprise de dépôt, type Amazon. Si, sur le principe, Ricky peut profiter d’un sentiment d’autonomie (sa qualité de chauffeur-livreur à son compte le fait passer pour un auto-entrepreneur), il s’agira d’une fausse indépendance. Ce qui se profile comme une alternative miraculeuse contre le chômage cache en fait la perversité d’un système asservissant : Ricky est inextricablement subordonné aux exigences de rentabilité, de contraintes matérielles, de compétition et de surveillance, où l’humain ne semble pas avoir sa place. La phrase « sorry we missed you », destinée aux clients auxquels le livreur n’a pas pu remettre leur colis en main propre, peut symboliser ce bouleversement des rapports. Le lien entre les personnes n’est plus motivé que par un échange commercial totalement déshumanisé.

D’une précision quasiment documentaire, sans verser dans le film-discours grâce à l’incarnation vibrante de ses personnages, le film présente, à partir du nouveau travail de Ricky, un enchaînement de situations au sein de sa famille. Les répercussions impliquent notamment des compromis pour sa femme Abbie, aide-soignante à domicile rompue aux heures supplémentaires, qui doit vendre sa voiture pour que son mari puisse faire ses courses en camionnette… et projètent le récit dans une spirale sans issue. Finement observateurs du dérèglement des relations humaines, Ken Loach et son fidèle scénariste Paul Laverty dénoncent ainsi des conditions de travail en même temps qu’ils en restituent parfaitement les conséquences sur la cellule familiale. Elles touchent toutes les générations : les enfants du couple en pâtissent, représentants d’un avenir que l’on n’ose à peine envisager. La rébellion du fils, pour qui le modèle paternel n’est pas exemplaire, s’en voit alimentée, tandis que leur fille se trouve impuissante au milieu des disputes. Le film se double alors d’une peinture de la jeunesse, criante de vérité.

À 83 ans, Ken Loach est l’un des rares cinéastes osant prendre à bras le corps les sujets les plus brûlants du monde contemporain. Les plus importants aussi, car ils appellent autant à remettre en question les choix des puissants de ce monde que celui, ici, des consommateurs, c’est-à-dire de tout le monde, pour qui voudra bien se reconnaître. Récit véritablement moderne, incitant à l’indignation puis à l’action, Sorry we missed you participe ainsi de l’entreprise cinématographique et politique de la vie de son auteur. Salutaire, et nécessaire.

Sorry we missed you / De Ken Loach / Avec Kris Hitchen, Debbie Honeywood, Rhys Stone / Angleterre / 1h40 / Sortie le 23 octobre 2019.

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