
La naissance de la fille de Mathilda (Anaïs Demoustier) et Nicolas (Robinson Stévenin) est accueillie avec joie par toute leur famille, réunie pour l’occasion : la mère de Mathilda (Ariane Ascaride), son beau-père (Jean-Pierre Darroussin), sa demi-sœur et son mari (Lola Naymark et Grégoire Leprince-Ringuet). Seul manque à l’appel Daniel (Gérard Meylan), le père, qui apprend la nouvelle depuis sa cellule de prison. Il s’apprête néanmoins à en sortir et à retrouver les siens, dans une ville de Marseille minée par les mutations économiques.
Alors que la situation de départ laissait envisager l’histoire du retour d’un repenti dans la société civile, ce n’est pas cette ligne directrice qui intéresse Robert Guédiguian. Il préfère plutôt composer une tragédie sociale, en sculptant dans le destin de ses personnages plusieurs visages de la solidarité : la façon dont elle disparaît au quotidien, dans le milieu du travail, mais aussi au sein de l’unité familiale. Avec sa fidèle troupe de comédiens, le cinéaste exprime tout le dégoût que lui inspire l’individualisme, constatant qu’il a pris le dessus sur la solidité du collectif. C’est un fait que met en avant la confrontation des générations. Sylvie et Richard, les parents, sont les représentants d’un monde pour qui porter assistance à l’autre est normale, même si c’est une situation qu’il n’est pas toujours aisé de tenir. Ariane Ascaride, récompensée par le prix de la meilleure actrice à la Mostra de Venise pour ce beau rôle, incarne ainsi une femme de ménage travaillant de nuit, en conflit avec ses collègues car elle dit ne plus pouvoir se permettre de faire la grève. À côté d’eux, le tableau de la nouvelle génération donne à voir des êtres essentiellement seuls, qui n’ont pas d’autre horizon que celui de subvenir à leurs besoins matériels… Ils sont animés par des petites intrigues qui rappellent sans cesse leur condition sociale, ou leur orgueilleuse ambition, comme en témoigne l’attitude condescendante du couple de trentenaires qui réussit, financièrement, mieux que ses proches – même s’il est assez caricatural par rapport aux autres personnages.
L’approche de cette histoire par l’angle du réalisme social n’est pas sans faire penser à celle du cinéma Ken Loach, qui abordait l’ubérisation dans le récent Sorry we missed you, sujet également traité par Robert Guédiguian via le personnage joué par Robinson Stévenin, devenant chauffeur Uber pour nourrir sa famille. Cependant, le film s’éloigne par endroits d’une transcription fidèle de la réalité en parsemant des touches poétiques. Si le décor est plus bétonné qu’à l’accoutumée chez le cinéaste, un effet de contraste s’opère : de la rareté des séquences d’extérieur naissent des moments suspendus, notamment lors des retrouvailles entre Ariane Ascaride et Gérard Meylan, au bord de la mer. Le personnage de ce dernier, qui a pour habitude d’écrire des haïkus, est une figure magnifique, à la fois ancrée dans une réalité sociale et porteuse de valeurs en perdition. Par lui survient une forme d’espoir, celle-là même qui était convoquée dans la superbe séquence d’ouverture, montrant l’entrée au monde d’un bébé, nommé Gloria. On devine par le choix de ce prénom une référence au film de John Cassavetes du même nom (1980) avec qui Gloria Mundi file une réflexion sur l’entraide, pour donner un sens, encore, au maintien d’un lien intergénérationnel.
Gloria Mundi / De Robert Guédiguian / Avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Anaïs Demoustier / France / 1h47 / Sortie le 27 novembre 2019.