
Invité par le Forum des images en début d’année pour accompagner la rétrospective de ses films, Paul Schrader avait aussi proposé un cours de scénario. En une heure, il synthétisait dix leçons données habituellement à des étudiants d’universités américaines. Retour sur la méthode d’écriture du scénariste de Taxi Driver.
« Ma tendance est plutôt de décourager les gens de faire du cinéma. » Cette formule dite avec le plus grand sérieux par Paul Schrader est une étonnante entrée en matière, qui a le mérite d’être claire. Elle n’est pas si anodine quand on connaît les nombreux déboires de production que le scénariste-réalisateur a connu dans sa carrière… mais ceci dit, il n’en dispensera pas moins de précieux conseils à l’attention des scénaristes débutants. Il commence par affirmer sa position à l’égard de l’apprentissage de l’écriture : Paul Schrader est allergique aux manuels de scénario, fustigeant notamment ceux de Robert McKee. « On ne peut apprendre que par soi-même. L’écriture n’est pas prévisible, ce qui marche pour une personne ne marche pas pour une autre. Je ne peux qu’enseigner ma façon de faire, ce que j’ai appris pour moi-même. »
Le réalisateur de Mishima conseille d’abord de se pencher sur un problème personnel avant d’écrire. Une différence, un complexe, une douleur… Il avance : « Quand il s’agit de récit, il s’agit forcément de linge sale. » Il ne faut pas avoir peur de se dévoiler en profondeur, le principal étant de chercher ce qui nous est vraiment personnel. « Ce qui est personnel n’est pas unique, mais il faut que ce soit vous qui l’exprimiez. La seule porte d’entrée possible c’est faire ce qui vous est propre. » Schrader s’inscrit dans une approche non formatée du scénario, sinon personnelle et sensible, qui explique en partie son aversion pour les manuels et éclaire, d’ailleurs, la nature de ses films dont le réseau de spectateurs reste malgré tout confidentiel (beaucoup d’entre eux ne sont jamais sortis en salle en France, le public français reste malheureusement peu familier avec son œuvre de cinéaste).
Une fois le problème localisé, Paul Schrader dévoile sa grande idée : trouver une métaphore. Cette métaphore permet de traduire visuellement le problème, et sert de prémisse à l’imagerie du film. « Beaucoup de grands films ont une force intrinsèque due à la puissance de leur métaphore. » Il cite Rosemary’s Baby (1968) de Roman Polanski et Les Dents de la mer (1975) de Steven Spielberg pour leurs métaphores qui racontent un mal inconnu, ou encore Sans un bruit (2018) de John Krasinski dans lequel le bruit est associé à la peur, et l’idée principale du film consiste à éliminer le bruit pour ressusciter la peur. S’il faut parfois replonger dans un moment de l’histoire pour trouver une métaphore originale (une défaite lors d’une bataille par exemple), Paul Schrader raconte comment l’idée de Taxi Driver lui est venue. À 25 ans, il s’est retrouvé plongé dans une période dépressive et alcoolique, durant laquelle il vivait dans sa voiture. Atteint d’une hémorragie de l’estomac, il est emmené à l’hôpital. C’est depuis sa chambre que la métaphore de ses problèmes vient à son esprit : un taxi jaune roulant à travers la ville, avec un jeune homme à l’intérieur incapable de s’en sortir. Il se voyait à la place de ce chauffeur de taxi, le véhicule faisant le lien entre son problème personnel et cette métaphore fonctionnelle, qui lui donne l’idée du scénario de Taxi Driver. Travis, le personnage incarné par Robert de Niro, était de son propre aveu sa poupée vaudou. « Vous êtes votre propre matière, elle n’est pas dans la littérature ou dans les journaux. Il faut que vous vous étudiez vous-même et non pas le cinéma. » Savoir pourquoi on a besoin d’écrire, comprendre et dépasser son problème pour mieux s’en défaire.
Pour Paul Schrader, l’écriture du scénario passe d’abord par ces trois étapes : trouver le problème central qui témoigne de la nécessité d’écrire une histoire, trouver la métaphore pour la transcrire et, ensuite, travailler l’intrigue. On est alors en mesure d’imaginer l’histoire. Et maintenant, qu’est-ce qu’il se passe ? Intervient l’autre grande idée de Paul Schrader, avec celle de la métaphore. « L’écriture de scénario n’est pas une forme de littérature, elle tient de la tradition orale. » Lorsque l’on a couché sur le papier une dizaine d’idées de scènes et que l’on entame le plan narratif, il s’agit de raconter l’histoire à l’oral, même si elle n’est pas terminée. Du moment qu’il captive son interlocuteur, le scénariste est sur la bonne voie et peut enrichir son plan de nouvelles scènes, puis le raconter à nouveau et ainsi de suite. « Si vous pouvez raconter une histoire pendant 45 minutes et captiver quelqu’un, alors vous avez un film ».
Il n’y a pas qu’une forme de scénario. Chaque histoire nous dicte par elle-même la façon dont elle veut être rédigée. Paul Schrader a écrit des scénarios sans numéroter les scènes, avec des onomatopées, au passé… Et contrairement aux manuels de scénario, souvent effrayés par les temps morts du récit, il encourage les scénaristes à s’autoriser le ménagement d’une scène de 10 minutes sans action, avec seulement un dialogue, si elle est nécessaire, comme ce qu’il propose dans son précédent long-métrage, First Reformed (Sur le chemin de la rédemption) sorti directement en DVD en 2018.
Enfin, il tient à mettre l’accent sur les deux éléments les plus difficiles, selon lui, à appréhender à l’intérieur d’un scénario : l’exposition et les dialogues. « Les dialogues d’un scénario ne ressemblent pas aux dialogues de la vie. Il faut trouver un équilibre. J’aime bien demander à mes étudiants de lire leurs dialogues en commençant par la fin : leur compréhension à rebours est souvent bien plus intéressante ! » Pour terminer sa conférence, Paul Schrader adopte quant à lui un autre revers. Il explique en quoi consiste généralement son dixième et dernier cours : inviter un autre scénariste en total désaccord avec tout ce qu’il vient d’exposer.
Très chouette article, instructif !
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Toujours passionnants ces retours d’artistes et de créateurs à l’origine des grandes œuvres.
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