I’m Not There

Rétrospective Cate Blanchett

Union Films - Review - I'm Not There.
« Cate Blanchett is Bob Dylan » © Diaphana Films

Les obstacles auxquels se heurte un biopic, genre ayant donné des résultats pour le moins inégaux dans l’histoire du cinéma, semblent souvent les mêmes. On pourrait les synthétiser en une formule, le « paradoxe du biopic » : comment dramatiser la vraie vie d’un individu, si passionnante soit-elle, de façon à en tirer une œuvre ayant un intérêt cinématographique qui aille au-delà du documentaire ? Mais si elle est dramatisée, est-ce encore sa vraie vie ? Et si ce n’est plus sa vraie vie, est-ce encore un biopic ?

Le bon biopic est toujours celui qui trouve la solution à ce paradoxe, et celui que livre Todd Haynes fait sans le moindre doute partie des plus intéressants et réussis. En réalité, I’m not there ne raconte pas la vie de Bob Dylan – ou du moins, pas seulement, et pas directement. Le choix du réalisateur consiste à mettre en scène six incarnations du musicien, dans un film contenant en réalité six histoires au lieu d’une seule, dans six genres, tons et styles distincts.

D’où, nécessairement, six acteurs différents. Aucun rôle n’est celui de Bob Dylan à proprement parler, et pourtant tous les sont à leur manière. De même que la bande originale du film est constituée de reprises de l’œuvre dylanienne par des stars de la folk ou du rock, le film est un ensemble de reprises de ce qu’a été sa vie, réelle ou fantasmée, par de grands acteurs. Marcus Carl Franklin incarne un jeune hobo guitariste et volubile. Ben Wishaw et Richard Gere prêtent leurs traits respectivement à Arthur Rimbaud (jeune, fugueur) et à Billy le Kid (vieilli, survivant incognito), deux figures mythiques auxquelles on a pu comparer Dylan. Christian Bale est un chanteur de folk qu’on découvre exclusivement par des extraits de faux documentaires. Heath Ledger incarne un acteur chargé, dans la fiction, d’interpréter dans un film le rôle du personnage de Christian Bale… Ces cinq premiers avatars permettent déjà bien des jeux de correspondances et de mise en abyme ; le rôle de Cate Blanchett vient sublimer cet incroyable casting en même temps que la structure scénaristique fascinante du film.

I'm Not There" Revolutionized the Rock Biopic, And Nobody Noticed
De gauche à droite et de haut en bas : Marcus Carl Franklin, Cate Blanchett, Christian Bale, Ben Wishaw, Heath Ledger et Richard Gere © Diaphana Films

Le choix d’une femme n’est pas si déroutant ; comme on l’a dit, aucun des personnages n’est réellement Bob Dylan, puisque chacun est destiné à illustrer une facette du mythe plutôt que rejouer la vie de l’homme. Mais si par exemple Marcus Carl Franklin joue le rôle d’un enfant noir, ce qu’il est réellement, Cate Blanchett ne joue pas celui d’une femme. Au contraire, son personnage est même le seul des six qui ait l’apparence physique du véritable Bob Dylan ! Et ce sont presque uniquement des événements effectivement arrivés qui constituent l’arc narratif de son personnage : de ses fameuses interviews (où ses réponses déconcertaient toujours les journalistes) à ses concerts, en passant par ses rencontres marquantes ou encore l’intrusion d’un détraqué dans sa chambre d’hôtel lors d’une tournée…  Et Todd Haynes n’étant pas à un paradoxe près, il décide de filmer ce segment en noir en blanc, tout en adoptant un style visuel alternant entre l’onirisme et le cartoonesque, la reconstitution et le clip quasi psychédélique.

Cate Blanchett est un Bob Dylan rebaptisé Judd Quine, flegmatique et nonchalant, amoureux et susceptible, intime et légendaire. Un gamin tout joyeux d’avoir rencontré le grand poète Allen Ginsberg, bondissant comme un personnage de dessin animé avec les Beatles ; mais aussi un gangster tirant à la mitraillette sur la foule – image métaphorique surprenante qui retranscrit bien ce que semblent avoir ressenti les spectateurs ce fameux jour où il sortit de son étui une guitare… électrique. « Il a complètement changé. Il s’est transformé. Il n’est plus comme avant ! » déclare un fan en sortant de ce premier concert à l’électrique donné par Dylan. De toute sa carrière, le chanteur n’a effectivement jamais ménagé ses fans. Cette trahison des racines folk pour le rock sera plus tard suivie d’une trahison du rock pour le gospel, suite à une conversion au christianisme semi mystique, phase qui ne durera pas non plus.

Donc, Dylan change, toujours. En fait, il n’est jamais « comme avant ». C’est une créature protéiforme, et Cate Blanchett en incarne la version la plus touchante et fascinante du film. D’abord parce que le talent de la comédienne fait revivre sous nos yeux avec une précision et une grâce hors norme la fine silhouette, les mimiques, les mouvements du chanteur poète dont l’androgynie a toujours été une caractéristique prégnante. Mais surtout parce que la dimension éthérée, onirique, légèrement hallucinée de son jeu, s’intègre à la perfection dans un récit qui, tout en étant le plus délirant des six, est pourtant celui qui cherche à s’approcher au plus près d’une certaine vérité. Non pas celle, historique, des faits ; mais celle, plus profonde, d’une atmosphère intérieure, d’un état d’esprit, d’un sentiment de liberté protestataire et de folie créatrice.

I’m not there / De Todd Haynes / Avec Cate Blanchett, Marcus Carl Franklin, Richard Gere, Christian Bale, Heath Ledger, Ben Wishaw / États-Unis / 2h15 / 2007.

2 réflexions sur « I’m Not There »

  1. J’ai vu ce film au ciné et je dois dire qu’il m’a plutôt dérouté. Mieux vaut s’y connaître en Dylan avant de s’y coller pour saisir toutes les références, pour fixer les époques et les thèmes liés à son œuvre. Comme tu dis l’artiste est protéiforme, difficile à saisir et Todd Haynes trouve une traduction appropriée mais qui reste hermétique (bien plus que lorsqu’il s’en prenait aux star du Glam dans « Velvet Goldmine »).
    Il y a tout de même six bonnes raisons de voir « I’m not there » : ce sont les six performances d’acteurs.trices.

    Aimé par 1 personne

  2. Ce film est absolument génial, Todd Haynes y refuse tous les codes du biopic et ça donne un truc fantasque, poétique, déroutant, exactement à l’image des chansons de Bob Dylan ! (C’est presque plus un biopic sur les chansons de Dylan que sur Dylan lui-même !)

    Aimé par 1 personne

Votre commentaire

Entrez vos coordonnées ci-dessous ou cliquez sur une icône pour vous connecter:

Logo WordPress.com

Vous commentez à l’aide de votre compte WordPress.com. Déconnexion /  Changer )

Photo Facebook

Vous commentez à l’aide de votre compte Facebook. Déconnexion /  Changer )

Connexion à %s

%d blogueurs aiment cette page :