Carol

Rétrospective Cate Blanchett

Cate Blanchett dans « Carol » – © Wilson Webb – The Weinstein Company – 2015

Avec Carol, nommé six fois aux Oscars en 2016, le prodige Todd Haynes accouchait d’un mélodrame intime et poignant, une œuvre d’une rare sensibilité portée par deux actrices en état de grâce.

Aux Etats-Unis, dans les années 1950, deux femmes se rencontrent. L’une est en pleine instance de divorce et dégage, derrière son apparat de haute bourgeoise, une sensualité puissamment magnétique. L’autre est caissière dans un grand magasin et incarne à la perfection la girl next door au visage d’ange. C’est bientôt Noël et dans ce parangon de l’American way of life, entre les rayons où se dessinent les prémisses de l’hyper-consommation, un coup de foudre se joue. Une idylle interdite et transgressive, une irrépressible et dévorante passion. Carol Aird (Cate Blanchett) et Therese Belivet (Rooney Mara) sont tombées amoureuses.

Pour peu qu’on le déleste de la musique romantico-nostalgique de Carter Burwell, le tout premier plan de Carol n’aurait pas dépareillé dans un film de genre. Le long-métrage s’ouvre en effet sur une image intrigante, presque abstraite. Tout juste comprend-on qu’il s’agit d’une sorte de grille, séparant très symboliquement la lumière d’une obscurité profonde et mystérieuse. Et la caméra de reculer pour finalement dévoiler une plaque d’égout aux motifs stylisés. Toute l’intention de Todd Haynes réside en ce mouvement de machinerie : déterrer ce qui se joue de l’autre côté de la grille (sans mauvais jeu de mots) et le traîner en pleine lumière, mettant ainsi à jour les travers intolérants d’une Amérique de carte postale. C’était déjà la vocation de Loin du Paradis (2003), qui traitait lui aussi de l’homosexualité secrète. Il n’est donc pas anodin que Todd Haynes se réapproprie une fois encore les codes de l’âge d’or d’Hollywood. Une vénération pleinement assumée pour le cinéma et l’esthétique de l’époque (cf. la séquence-hommage dans la cabine de projection) qui tend néanmoins plus vers la mélancolie sobre d’un Edward Hopper que vers le mélodrame à la Douglas Sirk. En effet, les larmes sont rares dans Carol et le drame toujours contenu, parfois presque indicible, ne se manifestant que lors de quelques sursauts, minimalistes mais dévastateurs – un doigt qui caresse un téléphone pour meubler le silence, une main posée sur l’épaule en guise d’adieu…

Pourtant, il y a bien de l’horreur dans Carol, comme le premier plan pouvait donc le laisser deviner, et c’est bien la pire de toutes. Une horreur invisible qui agit en sourdine, par le prisme des lois et des coutumes dont l’inhumanité crève les cœurs les plus audacieux, dès lors condamnés à vivre à l’abri des regards. Ce n’est pas anodin si le coup de foudre prend visuellement corps lors d’une balade en voiture, alors que la luxueuse berline de Carol s’engage dans un tunnel sombre, comme coupé du monde.

Il serait toutefois un peu simpliste de réduire ainsi le film de Todd Haynes à sa simple portée politique et mélodramatique. Carol est aussi, et peut-être même avant toute autre chose, un grand film érotique, visuellement saisissant dès lors qu’il s’attarde à la mise en scène des corps et de ces petits riens qui façonnent le désir. Concentrée autour d’une seule et unique séquence, la dimension purement charnelle du film s’en trouve ainsi décuplée et la consommation tant attendue de cet amour confine au vertige. C’est aussi durant cette scène que les deux actrices témoignent de leur abandon total et inconditionnel. Rooney Mara excelle dans la peau de cette jeune fille que rien ne prédestinait à pareille péripétie, tandis que Cate Blanchett laisse une fois de plus entrevoir son impressionnante palette de jeu, oscillant sans effort entre le désespoir, le désir et l’assurance factice. Sublimée par le 16mm et la lumière du génial Ed Lachman (collaborateur régulier du cinéaste), cette scène constitue le point d’orgue d’un grand film sentimental.

Carol / De Todd Haynes / Avec Cate Blanchett, Rooney Mara, Kyle Chandler / Etats-Unis – Grande-Bretagne / 1h58 / 2016.

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