Adolescentes

Au cinéma le 9 septembre 2020

Emma et Anaïs, deux adolescentes suivies pendant cinq ans par la caméra de Sébastien Lifshitz ©Ad Vitam

Un effet documentaire émane généralement des fictions les plus réalistes, dont les scènes captent le quotidien dans toute sa nudité. Adolescentes propose, pour une fois, l’opération inverse : documentaire de bout en bout, le film donne l’impression d’assister à de vrais moments de fiction tant ses dialogues, sa trajectoire et les rebondissements nourrissent un matériau considérablement romanesque.

Dans une démarche proche de celle de Richard Linklater avec Boyhood (2014), le cinéaste et photographe Sébastien Lifshitz a suivi deux amies d’enfance, Emma et Anaïs, en les filmant régulièrement depuis leur rentrée en quatrième jusqu’aux semaines suivant l’annonce des résultats du baccalauréat. Habitantes de Brive-la-Gaillarde, elle partagent leur enfance, leurs souvenirs et leur présent, mais pas leurs milieux sociaux : une séquence très parlante montre avec peu de mots cette distinction, sans la théoriser, par la mise en parallèle des réactions d’une fille avec un parent (Anaïs et son père, Emma et sa mère) au moment de l’annonce de l’élection d’Emmanuel Macron.

En accompagnant la vie de ses deux protagonistes sur une période aussi longue, Sébastien Lifshitz a du composer avec un troisième personnage : le temps. Celui-ci a joué son rôle de créateur d’événements intimes et de fomentateur de cataclysmes, ponctuant régulièrement le film, et donc la vie d’Emma et d’Anaïs, au sein duquel chaque génération peut reconnaître ce qui la marque et fait son identité. Des épisodes à répercussion nationale (les attentats contre Charlie Hebdo et le Bataclan) à des petits faits de tous les jours (faire ses devoirs, aller au lac) en passant par des non-dits profonds mais inconscients (un passé en famille d’accueil, un père absent), tout cela donne lieu à des scènes extrêmement spontanées, tantôt touchantes et fragiles, tantôt franches et drôles. Le cinéaste tisse ces moments ensemble en en montrant le caractère essentiel, puisqu’ils forment ce qu’on nomme le vécu.

Au fil des ans et des séquences, le sentiment de maturité devient une question récurrente, car la période choisie coïncide avec la fin de la jeunesse. Anaïs, dont la mère est dépressive et le père semble démuni, doit grandir plus vite pour échapper à son milieu. Emma, en relation compliquée avec sa mère qui la reprend à chacun de ses gestes (« ta voix m’énerve », finit-elle par résumer), se situe dans un nœud conflictuel autour de son attachement maternel et de ses désirs personnels. Entre les aspirations, les réflexes quotidiens, les confidences et les doutes, rien ne semble jamais prémédité : tout surgit d’échanges confondants de naturel. Ce naturel, la caméra le restitue comme si le dispositif filmique ne s’était pas mis en travers du chemin de ses deux héroïnes : tel est le paradoxe miraculeusement résolu par ce bouleversant portrait d’adolescentes.

Adolescentes / De Sébastien Lifshitz / Documentaire / France / 2h15 / Sortie le 9 septembre 2020.

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