
Lorsque qu’une jeune femme et son compagnon décident de rendre visite aux parents de ce dernier, leur voyage prend petit à petit une tournure cauchemardesque.
Le long trajet que parcourent les deux personnages donne à Charlie Kaufman (scénariste de Dans la peau de John Malkovich et Eternal sunshine of the spotless mind) l’occasion de disséquer leurs angoisses les plus intimes. Le flux de conscience du protagoniste qui nous parvient en voix-off est entrecoupé de discussions métaphysiques. Ces dialogues riches et profondément ancrés dans le récit – constitués aussi bien de réflexions personnelles que de citations ou références en tout genre (Freud, Pauline Kael, Oscar Wilde, Guy Debord…) – font pourtant l’objet de perturbations incessantes.
Les conversations sont coupées, l’écoulement des pensées interrompu et le monopole de la parole se dispute entre les protagoniste sans qu’aucun n’ait quoique ce soit de bien pressant à évoquer. Les angles choisis changent, eux-aussi, parfois brusquement. Leur cadrage est inhabituel et leur enchaînement baroque. Ils séparent les personnages dans la discussion : leurs images et leurs propos se heurtent sans logique apparente. Le format choisi, et remarquablement manié par le directeur de la photographie Lukasz Zal (Cold War), renforce ces séparations imprévisibles, tandis que la brillance de l’image lui confère un aspect doux, presque féérique.
Cette perte de repères assez monumentale vécue par le spectateur n’est en revanche jamais celle des personnages. Alors que le réalisateur détourne les codes du genre horrifique de tous leurs usages connus et sensés, ses protagonistes n’en sont que très peu affectés. Le film donne vie à toutes leurs peurs sans que celles-ci influencent un tant soit peu leur comportement. Les mots régissent les images et les images commandent les mots, mais aucune des deux instances ne semble avoir de conséquences concrètes. Le délaissement quasi-total d’une cohérence narrative ou de tout effet de causalité psychologique permet à Kaufman de jouer avec des personnages à la schizophrénie banalisée. Les scénarios envisageables sont multiples, les personnalités le sont donc aussi. Ses protagonistes se soustraient alors sans cesse à toute identité qui leur est assignée. Ce flou volontaire qui entoure l’essence même des personnages se retrouve à plus grande échelle dans la temporalité du récit.
Aucune linéarité temporelle ou spatiale n’est envisageable pour Kaufman qui se plaît à dissoudre le temps et les esprits sur un fond de spleen hivernal. Il prône l’étrange pour donner à la réalité une teinte profondément subjective : aussi poétique qu’inquiétante. Mais en mettant de côté cette leçon en matière de mise en scène du bizarre, il faut noter que le film prend rapidement une tendance auto-réflective qui peut s’avérer agaçante. Une surenchère constante dans le cryptique vient considérablement alourdir l’atmosphère déroutante que l’auteur cherche à mettre en place. Les sentiments de malaise assez prenants que peut ressentir le spectateur sont perdus à cause d’une sur-exploitation permanente de tous les procédés employés.
Malgré un casting bluffant et des séquences formidablement dérangeantes, l’œuvre est noyée dans un trop-plein d’affirmations absconses qui la mènent finalement vers une conclusion complètement dissonante. Le film pense, se pense, se regarde et s’écoute penser, longuement. Si bien qu’il finit par atrophier tout soupçon de spontanéité.
Je veux juste en finir / De Charlie Kaufman / Avec Jessie Buckley, Jesse Plemons, Toni Collette, David Thewlis / Etats-Unis / 2h14 / Sortie le 4 septembre 2020.