L’Abbé Pierre – Une vie de combats

Au cinéma le 8 novembre 2023

© Jérôme Prébois

Frédéric Tellier est ce que l’on pourrait qualifier de tenant actuel du “cinéma des grandes affaires sociales à la Gavras”. Ce sont ces héros, ces justes des temps modernes que Tellier prend en sujet. Alors qui de mieux que le Saint moderne par excellence ? Mais n’eût-il pas mieux valu laisser l’Abbé Pierre dormir en paix ?

Un commencement christique, un désert, couvert d’étoiles, un abbé vieilli et voilà la rengaine classique du biopic qui commence : une série de péripéties sous forme de doutes introspectifs ou d’épreuves personnelles… Tout pour faire d’un individu un mythe. Alors, on pourrait laisser SND faire du SND, attendre une redif sur M6 tous les hivers bien au chaud dans son salon et laisser couler tranquillement. Mais L’Abbé Pierre vaut l’analyse, malgré son chapelet de poncifs plombants.

Pas de grandes surprises, pas de parti pris non plus, on reste ici bien dans les clous. Mais alors ? Qu’est-ce qui coince ? Une idée pour le moins saugrenue : celle d’héroïser celui qui a tout fait pour s’effacer complètement derrière un combat, qui a abandonné son nom, sa fortune, sa vie à sa cause. Celle justement d’éradiquer la pauvreté, et voilà une caméra moderne, une équipe dantesque et 15 millions d’euros pour nous montrer à quel point sans un sou le brave abbé a fait… C’est là que le bât blesse, que se dévoile la faiblesse d’un cinéma à demi mou, à peine engagé, tout juste choqué par la misère, qui de surcroît vient avec ses gros sabots nous faire la morale. Tort même dont l’Abbé Pierre s’est efforcé de se défaire, et que le film ne cesse de rappeler. Ainsi, Godard disait “parler depuis son milieu” lorsqu’il s’est attelé au cinéma social. Qui du religieux ou du cinéaste l’aura appliqué le mieux, au choix. En tout cas, Tellier ne semble ni avoir appris de son protagoniste, ni de ses pairs. Comble du comble, dans l’inaction et la non-réflexion la plus totale, voilà que le film se finit sur des images à la volée, de loin bien sûr, pas de trop près, de sdf, de mendiants, toujours filmés en 4k, en longue focale…. 

L’idée ici n’étant pas d’anéantir toute légitimité de productions filmant la misère avec des moyens, mais pourvu qu’elle y développe une réflexion. Ici, l’Abbé est un héros, parfait dans ses failles comme dans ses forces, un saint, le voilà, reconstituons, ne réfléchissons pas. On utilise l’Abbé et la misère, comme un sujet de reportage, un fait, une bonne histoire à raconter… Rien d’autre ?Pour l’aspect hagiographique, comme pour le réalisme, Tellier n’est pas Rossellini, l’Abbé Pierre est loin des Onze Fioretti.

L’Abbé Pierre – Une vie de combats / De Frédéric Tellier / Avec Benjamin Lavernhe, Emmanuelle Bercot, Michel Vuillermoz / sorti le 8 novembre 2023 / 2h 18min / France

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