Rien ni personne

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© La Vingt-Cinquième Heure

« Vaut mieux avoir une vie de merde que pas de vie du tout » assure-t-on à Jean (Paul Hamy), petit voyou orphelin dont le métier de coupeur de cocaïne grignote son quotidien et sa santé mentale. À bout, il prend le grand large avec plusieurs précieux kilos de coke et entraine dans sa chute sa femme Nadia (Jina Djemba), son nouveau-né et ses nombreux collègues psychopathes maintenant bien enragés. Dans cette traque nocturne éclairée par les feux verts et rouges de Saint-Nazaire, Jean semble n’a comme échappatoires que la mer et son horizon lointain, accessibles grâce aux bons services de Valérie (Suliane Brahim), navigatrice alcoolique et méfiante.

Il ne suffit pas d’attendre les premières images au chiaroscuro marqué ou les présentations de ces petits criminels pourris cherchant à survivre avec panache (et avec le grisbi si possible) : la police d’écriture du générique, lettres jaunes sur fond noir, suffit pour saisir l’ADN de l’œuvre, hommage fantasmé à la Série noire, polar à la française tombé en désuétude. Rien ni personne ambitionne de dépoussiérer ces archétypes, comme ce héros défaillant ici obligé de constamment veiller sur son nourrisson pleurnicheur. Rare idée novatrice de thriller incapable de se distinguer de son genre, tiraillé entre un premier degré trop respectueux et des tentatives de modernisation mal inspirées, comme la figure de dealer ici représentée par des thugs de cité braillards. Pire, les émotions et gestuelles emphatiques, sûrement pour souligner la tragédie à l’œuvre, n’aboutissent qu’à l’hystérie collective d’interprètes dépassés par leur rôle.

Il est triste de le souligner, mais Rien ni personne accuse son manque de moyen. La fuite en avant de l’anti-héros se confine dans des motels miteux, des aires d’autoroutes, des caves et sous-sols dépouillés. La caméra y parait autant à l’étroit que ses personnages tandis qu’un montage précipité, avec profusion de plans rapprochés, distille cette impression désagréable de ne jamais pouvoir se situer correctement dans ces espaces que le réalisateur ne pouvait pas payer trop longtemps. Quelques fulgurances sont à noter, notamment l’intérieur d’un voilier ou alors la topographie accidentée, d’un baroque naturel frappant, des côtes de Saint-Nazaire. Dans les rares moments où le film reprend son souffle, le réalisateur souligne la géographie onirique du port, comme lorsque des gigantesques navires voguent près de la ville, dans la nuit et en suspens, pareils à des lents nuages d’acier que le héros comme le spectateur ne peuvent qu’admirer.

Au gré des virages narratifs attendus, la trajectoire de Jean ne brille que lorsqu’il s’éloigne des carcans du néo-noir et prend l’esthétique du cauchemar fiévreux. L’éclairage épouse un impressionnisme irréel tandis que les personnages ne deviennent que des corps fragmentés, des morceaux détachés dans la nuit de laquelle résonnent coups de feu et cris de bébé. Dans ces rares moments où le réalisateur parvient à maitriser le chaos inhérent à son récit, Rien ni Personne atteint une grâce malheureusement trop fugitive. 

Rien ni personne / de Gallien Guibert / avec Paul Hamy, Françoise Lebrun, Suliane Brahim / France / 1 h 22 / sortie le 28 février 2024

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