O Corno, une histoire de femmes

Actuellement au cinéma

©Miramemira SL

O corno dresse le portrait sensible, vibrant et charnel de Maria, une femme aidant d’autres femmes à donner la vie, ou plus occasionnellement, à avorter, dans l’Espagne franquiste des années 70. 

Le film débute par une séquence d’accouchement, poignante : immédiatement, on comprend que plus que des corps, ce sont des visages que capte la réalisatrice, Jaione Camborda. Des visages sur lesquels se lit la douleur d’un effort presque hors du commun. Il y a des cris, des traits qui se tordent, et bientôt, les hurlements laissent place au déchirement strident d’une autre souffrance : celle de l’air qui entre dans les poumons du nouveau né, et le poussent à pleurer.

Plus tard, en écho à cette scène initiale, a lieu un avortement : alors que l’accouchement se déroulait dans une chambre, aux yeux de tous (la porte ne cesse de s’ouvrir et de se fermer, dans un va-et-vient où le père, puis les enfants curieux et impressionnés, assistent, durant quelques minutes, à la naissance) l’avortement est quant à lui dissimulé. Encore une fois, les visages inondent l’écran. Ils viennent créer un parallèle entre le fait de donner la vie, et le fait d’être contrainte de l’ôter ; entre Eros et Thanatos, car le geste d’expulsion d’un corps par un autre corps est au fond le même.

Le titre, O Corno, désigne d’ailleurs le champignon vénéneux poussant sur le blé, utilisé pour fabriquer des médicaments, et surtout, le breuvage qui permet à Maria de faire avorter les femmes qui le désirent. Plus encore, « corno » évoque « la corne » et le monde des mammifères (des vaches surtout), qui ponctuent le film de leur présence. Il y a un bovidé au moment où Luisia vient demander de l’aide à Maria pour avorter ; ils sont présents de nouveau à la fin du film, lorsque Maria comprend qu’elle porte en elle un enfant. Il y a un lien, paradoxal, entre cette plante qui accélère les contractions lors d’un accouchement, ou provoque une fausse couche, et ces animaux associés tout aussi bien à la défense (la survie) qu’à l’attaque (la mort).

La grande force des images se situent dans cette capacité qu’a la réalisatrice de suggérer poétiquement plutôt que de montrer. Le film travaille le hors-champ lors de scènes éprouvantes, où la caméra demeure braquée sur les visages, et où un simple plan de coupe permet de signifier, par la métaphore, ce qu’il s’est passé : une virginité perdue, suggérée par une goutte de sang (ou de jus de mûres fraichement cueillie) le long d’un cou tendu ; un avortement dévoilé par quelques tâches vermeilles sur un draps posé à même le sol. Et ces thèmes (la naissance, l’avortement, la sexualité) viennent montrer le rapport de chacun des personnages à son corps.

Lors de la séquence d’avortement, le cadre et le placement des deux personnages compose presque une image de la Vierge à l’enfant : Maria est penchée aux côtés de la jeune fille ; elle lui tient les mains, et lui chante une berceuse. La composition à teneur picturale se lit aussi plus tard, lorsque Maria, contrainte de fuir son pays dans la précipitation et rencontre dans son errance une prostituée, que l’on voit en train de se donner à un homme. Elle a un enfant en bas âge, et allaite encore. Son client lui demande s’il peut boire à son sein : Anabela accepte, contrainte, et l’acte est filmé comme une charité romaine. 

Dès lors, c’est un jeu de miroir qui s’opère : car Maria pourrait tout autant être cette première femme qui accouche, que cette adolescente qui avorte, ou cette prostituée. Il y a une identification par les regards qui se soutiennent, et des moments de vie qui s’entrelacent, témoignant d’une sororité sans égal. O Corno est un film essentiel, nécessaire, féminin et féministe, d’une intensité rare.

De Jaione Camborda / Avec Siobhan Fernandes, Janet Novas, Carla Rivas / Espagne, Portugal, Belgique / 1h45 / Sortie le 27 mars 2024.

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