Le Jeu de la reine

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Le Jeu de la reine se livre d’abord comme un conte. Dans un royaume – notez le choix non fortuit de l’indéfini – empesté, en proie aux conflits religieux alors que la réforme luthérienne se propage dans le peuple, un roi ogre, colérique et gangrené, perpétue un climat de terreur, relate Elizabeth, future souveraine au règne glorieux. Avant elle, il y eut Catherine Parr, que le film considère en inspiratrice d’un tournant politique. En portant son regard sur l’épouse ultime d’Henri VIII, Karim Aïnouz suit le même horizon que Priscilla (Sofia Coppola, 2023) qui révisait le mythe d’un autre roi, Elvis, à travers le parcours de son épouse jeune fille. Il édifie à son tour un contre-récit, où les femmes se révèlent actrices du mouvement historique.

Un récit aux airs d’un survival où l’on suit la reine consort entre les murs brunâtres de la cour, déjouant comme elle peut, avec son discernement pour seule arme, les pièges semés par l’évêque Gardiner, lequel attise la méfiance du roi dément. Celui-ci, écrasant non seulement physiquement mais surtout par le mythe qu’il convoque, recouvre l’entièreté du film d’une aura mortifère et oppressante, constituant à elle seule, dans le cadre du film d’époque, une singularité notable. Sachant les antécédents de la bête, le spectateur frissonne avec Catherine à chacune de ses caresses, chacun de ses soubresauts, chaque intrusion, dans le champ, de sa main que la mise en scène nimbe d’une troublante puissance anxiogène.

Une atmosphère qui procède logiquement du point de vue du cinéaste : en déplaçant la focale des hommes vers les femmes, ceux-ci ne s’affirment plus que dans leur présence menaçante, tandis que leurs intérêts n’apparaissent que plus méprisables. En résulte que le film ne s’embarrasse pas des nuances. En substituant consciemment à un mythe un nouveau, cette fois féministe, réinterprétant la fin d’Henri VIII, entretenant son image plus légendaire qu’authentique de Barbe bleue univoquement impitoyable – car nul ne contestera ses crimes et ses excès -, l’œuvre réduit la complexité des êtres et de l’histoire. Problème sine qua non quand l’art s’envisage seulement en support d’une vision politique. On se gardera donc de lui en faire grief, le recours pataud au symbolisme ou aux analogies grossières suffisant à nous convaincre, malgré les sursauts haletants, de son manque de vigueur.

Mais ce qui est à retenir de ce Jeu de la reine se situe ailleurs, dans ce qu’il soulève épistémologiquement. Par son contre-récit dévoué à l’influence et l’ingéniosité féminines, par sa réécriture ostensiblement fictionnelle du passé, bien que s’appuyant sur des faits rigoureusement documentés, le film raconte comment l’on veut aujourd’hui que notre histoire s’écrive.

Le Jeu de la reine / de Karim Aïnouz / Alicia Vikander, Jude Law, Eddie Marsan, Sam Riley / U.S.A, Grande-Bretagne / 2h00min / Sortie le 27 mars 2024.

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