
Alors que le règne du pape Jules II semble toucher à sa fin, fragilisé par la montée en puissance des Médicis, Michel-Ange se trouve déchiré : les deux familles rivales sont aussi ses deux principaux commanditaires. Pris dans la tourmente des luttes politiques et de ses propres doutes et hantises, l’artiste de génie continue pourtant de créer.
Pour qui connaît l’œuvre de Michel-Ange mais ignore les détails de sa biographie, le premier contact avec la version qu’en propose Konchalovsky a de quoi dérouter. Quoi, ce nabot en guenilles, aussi laid que sale, grommelant et agressif, serait l’un des plus grands artistes de la Renaissance ? On pense aux mots de Rabelais sur Socrate, qui n’était pas très grand, ni très beau, et ne se lavait dit-on pas très souvent non plus, et qui pourtant recelait un esprit divin. C’est là tout le mérite de l’interprétation hallucinée d’Alberto Testone, pourtant acteur « non professionnel » : son hyperactivité apparemment grotesque parvient à toujours faire transparaître le bouillonnement émotionnel et spirituel qui habite son personnage.
Le Michel-Ange qu’on nous montre crée peu à l’écran. Ce n’est pas le façonnement des œuvres qui intéresse le metteur en scène, mais son personnage et les conditions qui permettent la création. Celles, politiques et historiques, qui sont concrètement à la source des commandes : Jules II voulant son tombeau, les Médicis voulant rivaliser de faste avec leur rival. Celles aussi, littéraires et artistiques, qui habitent l’artiste lui-même : Boccace, et surtout Dante et sa Divine Comédie, sur les pas duquel Michel-Ange qui vit sa vie comme un enfer semble toujours marcher. Celles enfin, plus métaphysiques, qui imprègnent cette terre qu’arpente Michel-Ange et le connectent à quelque chose de plus grand, à l’image de cet immense bloc de marbre qui attire irrésistiblement l’artiste, et qui, surnommé « Le Monstre », devient un véritable personnage de l’intrigue.
Michel-Ange est donc bien plus qu’une reconstitution historique ou biographique. Konchalovsky déclare avoir pensé le film comme une suite spirituelle à Andreï Roublev, le chef-d’œuvre d’Andreï Tarkovski qu’ils avaient écrit ensemble sur la vie du peintre d’icônes russe. Michel-Ange nous parle de l’art, de l’inspiration, de la création. Les influences visuelles du réalisateur sont d’ailleurs aussi multiples qu’anachroniques : telle scène de village évoque la peinture flamande ; telle autre où quelques silhouettes se débattent dans l’ombre se teinte de clairs-obscurs caravagesques ; plus loin, une silhouette s’approchant d’une fenêtre semble reproduire une toile de Vermeer…
Un détail biographique manque pourtant, et on pourra peut-être regretter que le film témoigne d’une étrange pudeur sur l’homosexualité de son personnage. Michel-Ange y est presque asexuel ; lorsqu’il surprend un couple dans une étable, seule la grâce de la main de la femme retient son attention. Mais il faut bien reconnaître la beauté de la scène qui en résulte… On ne pourra que conclure sur cette comparaison presque inévitable : de même que de sa crasse, de sa folie et de ses cauchemars, Michel-Ange a tiré des chefs-d’œuvres, Konchalovsky, en les dépeignant à son tour, livre un grand film.
Michel-Ange / D’Andreï Konchalovsky / Avec Alberto Testone, Jakob Diehl, Francesco Gaudiello / Russie – Italie / 2h09 / Sortie le 21 octobre 2020.
Une réflexion sur « Michel-Ange »