Mank

Sur Netflix le 4 décembre 2020

Gary Oldman est Herman J. Mankiewicz. ©Netflix

Il y a quelques mois, un film biographique consacré au cinéaste Michael Curtiz était mis en ligne sur Netflix. Tourné en noir et blanc, il affichait une double ambition : rendre hommage à l’âge d’or hollywoodien (son contexte était le tournage de Casablanca) et renouer avec un style de mise en scène propre aux années 1940. Mank de David Fincher se situe sur la même ligne originale. En mettant au centre de son récit la production de Citizen Kane (Orson Welles, 1941), il ressuscite les formes d’un cinéma des studios tout en en dévoilant les coutures. Un film de cinéphile pour cinéphile, forcément passionnant.

En 1940, Orson Welles, 25 ans, se voit confié un budget conséquent par la société de production RKO pour réaliser son premier film. Il a carte blanche, et peut s’entourer des collaborateurs de son choix. Il demande alors au scénariste Herman Mankiewicz (frère aîné du grand Joseph L. Mankiewicz) d’en écrire le script, en 90 jours. Ou plutôt 60. L’étau se resserre et le scénariste voit son temps de travail rétrécir de plus en plus. Il se confine dans un ranch à Victorville, en Californie, duquel il ne sortira pas sans avoir terminé la grande œuvre qu’on attend de lui.

Regarder Mank, c’est comme si l’on ouvrait un livre de souvenirs rédigé avec minutie par un témoin privilégié d’un moment majeur de l’histoire du cinéma. C’est entrer dans l’intimité d’un scénariste génial et assister à la création d’un chef-d’œuvre. Pourtant, rien ne semble anticiper le succès à venir de Citizen Kane, surtout pas la personnalité de son scénariste et sa relation de travail à distance avec Orson Welles. Alité, alcoolique, misanthrope, Herman Mankiewicz se manifeste d’emblée comme l’anti-héros de sa propre histoire. Une étiquette qui n’est pas près de se décoller.

À la façon de The Social Network (2010), Mank est un grand film en mouvement. Il s’agit d’abord du mouvement des époques : impossible de rester en huis clos avec Mankiewicz, cela aurait été incohérent vis-à-vis de la vivacité de son esprit. Un jeu de retours en arrière soigneusement maîtrisé fait correspondre le présent de l’écriture au passé qui contextualise l’ensemble. La présence croissante des syndicats, l’élection du gouverneur de Californie, les conséquences de la Grande dépression… David Fincher représente l’époque avec une vraie maniaquerie, dans le détail de ses problématiques artistiques et sociales. Il ne se contente pas que d’une reconstitution soignée à l’intérieur de son histoire et de sa mise en scène. Il va jusqu’à figurer les cercles noirs sur l’écran destinés à signaler la fin d’une bobine de pellicule. Un petit élément fétichiste qui provoque un certain ravissement, et semble naturel tant il est cohérent au regard de l’esthétique générale du film.

Ensuite, il y a le mouvement des personnages, et de l’incroyable créativité des studios hollywoodiens. Mank présente une galerie de personnages sous la forme d’un tourbillon de noms, d’échanges brillants et de conversations profondes, qui nous confirment qu’il n’y aura jamais plus immersif que le cinéma en deux dimensions. Le film témoigne d’une soif de dialogues et d’un dynamisme sans cesse ancré dans l’action des personnages. À quelle fin ? Non pas seulement celle de donner l’effet d’une leçon d’histoire du cinéma, mais de rendre compte de l’atmosphère dans laquelle évoluait le personnage-titre ; car à travers cette mise en scène de l’énergie qui entoure le scénariste, c’est son parcours mental qui se dessine.

Mank est un film très américain en ce qu’il s’applique à faire fi de la théorie des auteurs, qui veut qu’en France la paternité d’un film soit imputée au seul réalisateur. En insistant sur l’importance d’Herman Mankiewicz dans la genèse de Citizen Kane, David Fincher rétablit une injustice de l’histoire du cinéma, puisque celle-ci tend à oublier son rôle majeur. Mais il s’agit plus généralement de mettre à l’honneur les autres personnes qui font le film, tout autant que le réalisateur. En ce sens, Fincher ne pouvait rendre plus bel hommage posthume à son père, Jack Fincher, décédé en 2003, puisque c’est ce dernier qui a signé le scénario du film. En faisant le portrait du créateur de l’ombre qu’était Herman Mankiewicz, Fincher réalise en même temps celui de son père. Une nouvelle preuve de la belle élégance qui éclaire les méandres de Mank.

Mank / De David Fincher / Avec Gary Oldman, Amanda Seyfried, Lily Collins / Etats-Unis / 2h12 / Sortie le 4 décembre 2020 sur Netflix.

2 réflexions sur « Mank »

  1. Bonjour Victorien,
    et bravo pour cette formidable critique de Mank. J’aurais souhaité être autant emballé que toi, mais je dois reconnaître ne dégager qu’une impression mitigée au sortir de ce visionnage. D’abord, comme tu l’as très bien formulé en exergue, le film de Fincher semble avant tout destiné à un public de cinéphile qui saura aisément recontextualiser les personnages. Bien sûr, le néophyte pourra s’y essayer aussi, au risque de se noyer devant la pléthore de rôles secondaires, des références pour initiés. Le film parvient en effet à reconstituer le bouillonnement de cet âge d’or, à présenter les forces économiques et politiques en présence. Il échoue en revanche à transcender cet histoire de revanche scénaristique, d’abord dirigée contre Hearst, puis minimisant le rôle de Welles (le vrai génie derrière Citizen Kane ne serait-il pas Tolland en fin de compte ?). On sera gré néanmoins à Netflix, d’avoir permis à Fincher de mener à bien ce projet ourdi de longue date, de la même manière que la plateforme avait permis à the Irishman de voir le jour. Justement, on peut aussi s’interroger sur ce qu’un Scorsese aurait fait d’un tel sujet. Peut-être un film bien plus palpitant.

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