
Troisième et dernière œuvre de science-fiction de Paul Verhoeven, Starship Troopers (1997) clôt dans la carrière du réalisateur un mouvement entamé avec Robocop (1987) puis Total Recall (1990). Si continuer à explorer le genre au-delà l’aurait sans doute condamné à se répéter, Verhoeven parvient dans cette ultime tentative à un aboutissement conceptuel parfaitement logique. Trouvant fasciste le roman que lui présente son scénariste Edward Neumeier (Étoiles, garde à vous ! de Robert A. Heinlein), et plutôt que de vider le récit des éléments qui le dérange, Verhoeven prend la très intelligente décision d’au contraire les exacerber pour en faire le propos même de son film.
Dans Robocop tout comme dans Total Recall, le protagoniste connaissait un éveil : prise de conscience, puis rébellion, selon un schéma relativement classique. Il se faisait donc vecteur de la dénonciation opérée par le réalisateur (celle de l’obsession sécuritaire et de ses dérives autoritaires, de la toute-puissance de grandes entreprises et de leurs conséquences sur les populations…). Or dans Starship Troopers, les protagonistes seront les serviles exécutants du système dans lequel ils évoluent du début à la fin du récit, récit qui ne remettra jamais explicitement leurs actions en question – bien que la satire soit évidente.
Johnny, Carmen, et Dizzy, jeunes étudiants, décident de s’engager pour la Fédération et d’effectuer leur service militaire, lequel après deux ans leur octroiera le statut de Citoyen. Les membres du triangle amoureux se voient affectés à différents postes et corps de l’armée, et se trouvent rapidement plongés dans une guerre interplanétaire contre une espèce extraterrestre dangereuse, les « insectes ».
Ces protagonistes sont présentés au cours d’une scène de lycée qu’on pourrait croire tout droit sortie d’un teen movie, si l’enseignant (Michael Ironside) n’était pas un mutilé de guerre, et que celui-ci ne délivrait pas un discours fasciste sur l’échec des démocraties sous la forme d’une apologie de la violence. Les jeunes et beaux héros, dont les interprètes issus de sitcoms ont été spécialement choisis pour leur physique connoté, écoutent d’une oreille distraite tout en s’échangeant œillades enamourées et provocations. La scène pose les bases de l’univers où l’action va se dérouler (société militariste faussement idéale, personnages tout en désirs insatisfaits), mais surtout celles du pacte passé avec le spectateur, puisque l’outrance du propos donne le ton qui sera celui de tout le film.
On retrouve cette outrance dans toute la mise en scène de Verhoeven. Celui-ci s’inspire de l’esthétique du troisième Reich, ce qui est frappant dans la direction artistique : les uniformes rappellent de façon évidente ceux de la Wehrmacht ou des SS, l’architecture et le design des vaisseaux sont taillés tout en volumes imposants. Mais c’est également le cas dans la réalisation, puisque Verhoeven déclare s’être inspiré des films de Leni Riefenstahl, principale cinéaste du régime nazi, et notamment du Triomphe de la volonté (1935).
Dans le même temps, tout est fait pour également associer le régime en place (présenté comme un gouvernement planétaire) aux États-Unis. Dès la deuxième séquence du film, l’enseignant fait l’éloge de la force en citant la destruction d’Hiroshima comme un bel exemple de cas où elle a pu apporter une solution. Lorsque les insectes sont bombardés, ils le sont par des frappes incendiaires qui ne sont pas sans rappeler le napalm et donc le Vietnam, tout comme le sergent instructeur de la base militaire évoque celui de Full Metal Jacket (Stanley Kubrick, 1987). Le serment des nouvelles recrues rappelle quant à lui le serment d’allégeance au drapeau états-unien. Et que dire de la phrase suivante, prononcée avec haine par un citoyen : « un bon insecte est un insecte mort » ? Rappelons qu’on attribue au général Sheridan, grand artisan du génocide des natifs américains, d’avoir déclaré qu’un bon Indien était un Indien mort – alors même qu’on apprend en milieu de film que l’agressivité des insectes est en fait causée par l’entreprise de colonisation terrienne sur leur territoire. Ce n’est donc pas un hasard si certaines scènes évoquent le western, comme l’embuscade dans un canyon rocheux ou l’attaque du fort, d’ailleurs tournées dans le Wyoming.
En interrogeant ce rapport à toute une mythologie américaine des images (westerns, films de guerre, sitcoms…), Verhoeven accuse celle-ci de n’être qu’une immense opération de propagande en faveur de l’impérialisme des États-Unis et du militarisme qui l’accompagne. Bien que plus explicitement propagandistes, les vidéos de communication du pouvoir qui ponctuent le récit remplissent une fonction tout à fait similaire à celle du récit lui-même – la toute première d’entre elles met d’ailleurs en scène les protagonistes. De tels pseudo-reportages étaient déjà présents dans Total Recall, où le gouvernement communiquait de façon similaire : glorification de l’action de l’État, et diabolisation d’un ennemi déshumanisé (les « terroristes » mutants dans le premier cas, les insectes sanguinaires dans le second), dont la barbarie est dénoncée : un ressort essentiel de ces vidéos consiste à mettre en scène la violence, le sang, et les cadavres mutilés et démembrés.
Une différence essentielle distingue pourtant les vidéos présentes dans Total Recall de celles de Starship Troopers : si dans le premier cas celles-ci étaient toujours intégrées à la fiction, car diffusées à partir de moniteurs visibles dans le décor (métro, foyers des personnages…), dans le second, elles apparaissent directement en plein écran sans que leur source soit indiquée. De sorte qu’elles semblent directement adressées au spectateur, comme pour le prendre à partie, l’inviter à gratter le vernis de cette société apparemment idéale et harmonieuse, où une égalité parfaite semble avoir été atteinte – les femmes y combattent et commandent autant que les hommes. Car Verhoeven joue avec son spectateur, et l’efficacité du récit tend parfois à faire oublier pourquoi les héros agissent. Endormissement de la réflexion que Verhoeven ne pratique que pour mieux nous réveiller : dans son dernier acte, le film emporte l’adhésion dans un mouvement crescendo, brutalement interrompu en pleine scène finale par la joie sadique dont font preuve les héros après la capture du « cerveau » insecte. Faire du spectateur un complice de ce à quoi il s’attaque est assurément un des grands talents de Paul Verhoeven.
Starship Troopers / De Paul Verhoeven / Avec Casper Van Dien, Dina Meyer, Denise Richards, Neil Patrick Harris / États-Unis / 2h15 / 1997.
Brillante analyse à laquelle je souscris totalement.
Cette trilogie science fictionnelle signée Verhoeven est pour le moins singulière dans ce qui se produit alors à Hollywood, le divertissement se trouvant ici perverti par le vernis de la propagande.
Tant elle semble parfaitement cohérente, on en vient finalement à oublier qu’à cette trilogie s’ajoute un ultime film de SF tourné à Hollywood par Verhoeven : Hollow man. Certes, on ne se projette plus dans un futur aussi lointain et on aurait tendance à le rapprocher davantage du genre fantastique. De plus, la marge de manoeuvre du réalisateur fut très largement réduite par les producteurs échaudés après l’échec cuisant de Showgirls.
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