
Si Die Hard, sorti en 1988, est à voir comme les funérailles du héros reaganien, RoboCop, sorti un an avant, fut rétroactivement l’un des premiers clous de son cercueil. Le deuxième film américain de Paul Verhoeven porte déjà la marque d’un regard puissant et aiguisé, celui d’un auteur qui parvient à mêler divertissement hollywoodien et critique de la société capitaliste.
Comme Verhoeven le disait dans un entretien accordé aux Cahiers du Cinéma en octobre 2015, « l’ironie est un art perdu ». Un constat liminaire qui explique sans doute l’accueil critique paradoxal que fut celui de RoboCop. Nombreuses furent les voix à s’élever contre le film, n’y voyant qu’un pamphlet réactionnaire appelant à l’émergence d’une société ordonnée, répressive et fascisante. D’autres y avaient bien sûr déjà vu tout le contraire et l’Histoire aura eu l’intelligence de ne conserver que cette analyse. Il faut dire que Verhoeven aime brouiller les pistes. Chez lui, la critique s’approprie d’abord l’imagerie qu’elle brocardera plus tard.
En 2043, Alex Murphy (Peter Weller) est officier de police à Détroit, lieu de tous les fantasmes sécuritaires outre-Atlantique. Lacérée par la fracture sociale et minée par le crime, la ville est au bord de l’implosion. Face à la montée de la délinquance et pour calmer la peur du bas-peuple, l’OCP, un conglomérat militaro-industriel surpuissant, s’est offert la gestion des forces de l’ordre et compte bien révolutionner leur fonctionnement. Une révolution dont Murphy sera malgré lui le cobaye ; massacré par le truand Boddicker (le cabotin Kurtwood Smith), Murphy est ramené à la vie sous la forme d’un cyborg quasi-indestructible, prêt à faire de nouveau régner la loi.
Il va sans dire que l’exagération fait partie des armes que Verhoeven mobilise pour alimenter son discours. Feignant le premier degré, le cinéaste donne ici à voir une possible « uberisation » du héros d’action des années 80 – les circuits informatiques et les prothèses se substituant à l’hypertrophie musculaire. Un archétype qui paraît terriblement boursouflé, grotesque et dérangeant dès lors que l’on surligne ainsi sa surhumanité. RoboCop est le récit d’une désintégration aliénante, celle d’un homme que l’on réduit à un corps de volonté pure, une volonté qui n’est bien sûr pas la sienne mais celle d’un système politique bien décidé à asseoir sa domination consumériste. Le cyborg n’est d’ailleurs pas la seule arme mobilisée pour asservir psychologiquement la population. Ainsi, la télévision occupe une place prépondérante dans le film. Bouffonneries publicitaires et journaux alarmistes font office de chapitrage, des programmes que Verhoeven choisit de filmer plein-cadre, amenant le spectateur à questionner son propre rapport aux images du quotidien. Pris sous son angle le plus méta, le film pourrait se voir comme la réaffirmation de la puissance artistique du septième art face à la trivialité du petit-écran (symboliquement, RoboCop, héros de cinéma, détruit une télévision d’un coup de poing). Mais il faut surtout et avant tout voir dans ce geste fort l’étape charnière d’un parcours résurrectionnel.
Fasciné par la religion et tout particulièrement par la figure du Christ (auquel il consacre un livre coécrit avec Rob Van Scheers en 2015), Paul Verhoeven n’a pas tout de suite souhaité réaliser RoboCop. Comme il l’explique lui-même dans une masterclass donnée à la Cinémathèque Française en 2016, c’est son épouse Martine Tours qui le convaincra de se replonger dans le script. Ce n’est qu’après y avoir déniché la dimension christique du personnage qu’il changera d’avis. Il faut dire que Murphy y suit peu ou prou le même parcours que Jésus (figure sacrificielle ramenée à la vie pour donner aux mortels une nouvelle marche à suivre), le cinéaste poussant le vice jusqu’à le faire marcher sur l’eau lors du climax. Une résurrection qui se voit néanmoins parasitée par la technologie. Lors de son « éveil », une séquence formidable qui anticipe à la fois les jeux vidéos en 3D et l’immersion du found-footage, Murphy n’apparaît qu’une fois, furtivement, sur un écran de retour. Il n’est alors qu’une créature de Frankenstein post-humaine, le prisonnier d’une cellule cathodique dont la nature spirituelle paraît définitivement enterrée. Par l’entremise de Lewis (Nancy Allen), son ancienne coéquipière, Murphy retrouvera néanmoins le chemin de son passé au détour d’une scène déchirante. On y voit le cyborg errer dans son ancienne maison, le montage mêlant brillamment souvenirs de famille nostalgiques et triste réalité solitaire. A la fin de sa visite, le robot transperce l’écran d’une TV. Les barreaux de sa cellule sont tombés et le retour du l’humain (et donc de l’émancipation) est désormais inéluctable.
Plus qu’un film d’action futuriste, RoboCop est une véritable fable dont l’esthétique un peu datée mais résolument avant-gardiste n’a rien perdu de son charme. Le succès public du film confirmera la réputation du « Hollandais violent » et attirera l’attention d’Arnold Schwarzenegger et son producteur Mario Kassar, pourtant fers de lance du cinéma républicain, qui lui offriront la direction de Total Recall. Ironie, quand tu nous tiens…
RoboCop / De Paul Verhoeven / Avec Peter Weller, Nancy Allen, Ronny Cox, Kurtwood Smith / Etats-Unis / 1h43 / 1987.
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