West Side Story

Au cinéma le 8 décembre 2021

Ariana DeBose (Anita) et David Alvarez (Bernardo) reprennent le célèbre « America ». © Niko Tavernise / Twentieth Century Fox Film Corporation

La fin des années cinquante et le début des années soixante marquent à la fois un tournant majeur dans l’histoire de la comédie musicale classique américaine et son extinction. Les artistes sont désireux de développer des thématiques sociales et politiques plus fortes. Ainsi, les théâtres de Broadway verront dès 1960 émerger des comédies musicales ayant pour thèmes les minorités, la violence, la guerre, la pauvreté. Mais c’est bien quelques années plus tôt, en 1957, que West Side Story est pour la première fois jouée. Pari risqué pour Arthur Laurents, Leonard Bernstein, Jerome Robbins et le jeune Stephen Sondheim qui conçoivent ce Roméo et Juliette moderne, vu par le prisme de la problématique raciale. Le spectacle est novateur, peut-être trop : il ne rencontre qu’un succès modéré sur scène. Pourtant en 1961, son adaptation filmique devient un chef-d’œuvre instantané. Cette année, une nouvelle adaptation signée Steven Spielberg voit le jour. Pourquoi ? On ne saurait vous dire.

On ne peut nier que le sifflement qui résonne dans la salle quand les lumières s’éteignent soit jubilatoire. Mais sur les 2h35 qui composent le film c’est malheureusement tout ce qui nous fera frissonner.

La version originale de Robert Wise et Jerome Robbins n’est évidement pas parfaite : difficile, notamment, de croire à la jeunesse et la pauvreté des membres des Jets et des Sharks. Un élément qui s’avère plus convaincant dans le West Side Story de Spielberg. Pourtant, la fidélité au livret et le réalisme ne font pas tout. Surtout dans le cas d’une comédie musicale. Or, Spielberg cherche tant à convaincre, à expliquer, à souligner qu’il en oublie le principal : la danse. Le ressenti ne doit pas passer par le dialogue, les motivations ne doivent pas être annoncées par le biais d’une vague back-story, pas besoin de se justifier lorsque l’on peut danser. C’est bien là le propos qui fait toute la beauté de West Side Story. Dans cette atmosphère sombre où l’on distingue grâce à quelques lueurs rouges des visages suintants et sales, la danse se fait violence, la danse se fait exutoire. Et cet étau qui se renfermait sur les personnages se desserre dès lors qu’ils entament les premiers pas. Les plans aériens, fixes et larges sur les groupes de danseurs sont une réelle marque de confiance de la part de Jerome Robbins – chorégraphe et réalisateur de ces séquences – envers ses danseurs. Sa caméra ne vient jamais les troubler, son montage ne vient brusquer aucun de leurs mouvements. L’image s’adapte au rythme de la musique, le cadre aux corps des danseurs. On peut difficilement en dire autant de Spielberg, qui tente maladroitement d’imposer au film les codes visuels et rythmiques du blockbuster d’action, si bien que son remake finit par sembler aussi dissonant que brimé. 

Pourtant, tout est démultiplié : les plans, les grillages du balcon, les projecteurs, les décors, les costumes, les couleurs, les figurants. Le tout pour soutenir la narration. L’intrigue prend le dessus et étouffe le reste. Maria travaille dans un immense magasin et non plus une petite boutique, « I feel pretty » se chante face à une dizaine de miroirs au lieu d’un. Certes. Mais où sont les pieds de la Maria amoureuse de Natalie Wood qui ne touchent plus le sol le temps de quelques secondes ? Tony se livre lors d’un monologue mélodramatique sur son passé en prison dans une église où les deux amants finiront par s’unir. Bon. Mais où est le charme enfantin des parents pantins, des faux costumes, d’une cérémonie jouée jusqu’à ce qu’elle ne le soit plus ? De la simple évidence du couple ou du duel de grâce entre un Bernardo en apesanteur et un Riff acrobate, il ne reste plus rien. Spielberg sacrifie machinalement la finesse et la poésie pour se vouer tout entier au sensationnalisme. 

Si une œuvre conçue il y a plus de soixante ans s’avère encore d’actualité, c’est un gage de sa qualité et non un argument pour en réaliser une pâle copie au nom de sa modernité. Quant il s’agit de la comédie musicale, il est souvent question de savoir si c’est un genre essentiellement populaire ou savant. Spielberg nous démontre ici indubitablement que n’est pas metteur en scène de comédie musicale qui veut. Si l’on espère que ce caprice sera vite passé au réalisateur, un argument positif demeure en sa faveur : grâce à lui, rarement l’envie de revoir l’original n’aura été si forte.

West Side Story / De Steven Spielberg / Avec Ansel Elgort, Rachel Zegler, Ariana DeBosse, David Alvarez / États-Unis / 2h36 / Sortie le 8 décembre 2021.

Auteur : Chloé Caye

Rédactrice en chef : cayechlo@gmail.com ; 31 rue Claude Bernard, 75005 Paris ; 0630953176

2 réflexions sur « West Side Story »

  1. Ah, la nostalgie du c’était mieux la fois d’avant… Je suis malheureusement obligé de me placer en totale opposition à cette critique puisque le film de Spielberg m’apparaît plus vibrant, plus chatoyant et tout aussi pertinent (au regard de son temps) que ne l’était la comédie musicale d’autrefois (dont le livret n’est au passage pas signé Lehman, scénariste du film de Wise, mais Arthur Laurents). Je n’attends d’ailleurs qu’une nouvelle occasion de verser à nouveau une larme en écoutant Rita me sussurer « there’s a place for us… » Car oui, il y a aussi de la place pour Spielberg sur le podium des grands films de l’année.

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  2. Je trouve contradictoire de reprocher à Spielberg de faire « une pâle copie » et en même temps de lui en vouloir lorsqu’il réinvente des numéros. Son « America » ou son « I feel pretty » ne ressemblent certes pas du tout aux numéros correspondants du film de Wise et Robbins, qui sont effectivement plus intimes, mais on peut aussi y voir de formidables réinventions (« America » est une réussite totale). Même si je continue de préférer le film de Wise et Robbins, à lui seul, le personnage de Valentina, imaginé par Spielberg et Kushner, et qui signifie qu’il y a eu un couple mixte accepté avant Maria et Tony, change à lui seul le sens du précédent film. Difficile dans ces conditions de parler de « copie ».

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