Limbo

Au cinéma le 4 mai 2022

© Dark Star Presse

Alors que son sujet présupposait un traitement réaliste, d’autant que le cinéma britannique en a fait son quasi sacerdoce, Limbo opte audacieusement pour l’absurde et le décalage. En attendant la lettre, celle qui leur donnera le droit d’asile en Angleterre, des réfugiés bloqués sur une île inhospitalière d’Écosse sont contraints à… attendre. De ce groupe ressort Omar, jeune musicien syrien couvert d’une parka bleue que le spectateur suit dans ses tribulations stériles. Amir El-Masry interprète brillamment ce personnage à la mine taciturne, presque invariablement blasé, dont la mélancolie teintée de drôlerie rappelle l’ antihéros keatonien. À travers son regard, l’acteur parvient à refléter la présence d’un passé intime et douloureux qui sépare fatalement le jeune homme de sa nouvelle réalité.

Ici pointe la poétique du décalage, Omar et ses compagnons de mauvaise fortune apparaissant comme des personnages privés de toute possibilité d’agir. Ils sont absents au monde, flottants dans un non-lieu dont la loi souveraine est celle de l’attente. Objet métaphorique, la cabine téléphonique est la seule fenêtre ouverte qui les relient à ce qu’ils sont et ce qu’ils ont laissé. Et s’ils sont ensemble détachés du monde, voués à l’incompréhension des locaux, ils sont aussi disjoints les uns des autres. Disjoints par le cadre ou par le montage, ils errent seuls dans leur expérience personnelle de l’exil. Le film échappe ainsi à la représentation habituelle et médiatique des réfugiés comme masse indifférenciée : tous ont leur singularité, leurs propres rêves et motivations.

L’esthétique de l’absurde naît quant à elle de la construction d’un univers beckettien, défini par un régime d’indécision perpétuelle. C’est elle qui habite l’espace diégétique de Limbo, où les personnages sont suspendus dans leur puissance et leur être – Omar qui refuse à rejouer de l’oud – ; soit dans un néant. La mise en scène de Sharrock s’emploie sans temps mort à faire éprouver ce vide qui les entoure. Les longs plans fixes subordonnent l’action à l’immuabilité du temps, et un savant travail du cadre et des paysages composent un espace dont l’horizon n’est pas une ligne ouverte sur un au-delà mais une limite, signe d’une situation inaltérable.

Le pas de côté de Sharrock dans son approche d’une actualité grave apparaît salutaire. La distanciation qu’implique son regard décalé rompt avec une vision dramatisante qui révèle souvent une inconsciente condescendance, laquelle s’incarne dans le duo grotesque de formateurs. Dans Limbo, comme par enchantement, c’est bien l’écart qui tisse un lien et induit un autre œil sur ceux que l’on ne sait pas regarder.

Limbo / De Ben Sharrock / Avec Amir El-Masry, Vikash Bhai, Ola Orebiyi / Royaume-Uni / 1h44 / Sortie le 4 mai 2022.

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