Atlanta

Disponible sur OCS

© Guy D’Alema/FX

Dramatiquement contradictoires depuis leur propre fondation, les États-Unis nous ont à nouveau montré ces derniers mois à quel point le pays qui se veut phare de la démocratie mondiale peut sombrer dans un cauchemar incompréhensible pour tous ceux qui l’observent de loin. L’énième massacre dans une école – cette fois à Uvalde, Texas – nous a rappelé l’absurdité du refus de contrôler la vente des armes ; la décision de la Cour Suprême d’abroger le droit fédéral à l’avortement nous a confirmé que même les droits qu’on considère comme acquis depuis des décennies ne sont pas à l’abri d’une classe dirigeante réactionnaire, patriarcale et aveuglée par le fanatisme religieux. Le mandat de Trump a poussé les artistes, les auteurs et les cinéastes américains à s’engager encore plus dans une satire de leur propre pays, mais maintenant que la cible principale n’est plus au pouvoir et que les injustices continuent de persister, très peu d’œuvres parviennent à bien représenter ce que signifie de vivre dans une nation comme les États-Unis. Un rare exemple réussi est la série Atlanta, dont la troisième saison a été diffusée entre le mois de mars et le mois de mai.

Créée, produite, interprétée et (parfois) écrite et réalisée par le polyvalent Donald Glover (30 Rock, Community, Solo : A Star Wars Story), aussi connu sous son pseudonyme de rappeur Childish Gambino (auteur, entre autres, du tube This is America), Atlanta utilise le rap comme point de départ, voire prétexte, pour raconter les inégalités des États-Unis. Le récit gravite autour de quatre personnages : Paper Boi (Brian Tyree Henry), rappeur émergent qui n’a pas peur d’utiliser la violence pour se faire respecter, mais qui se retrouve régulièrement dans des galères aussi drôles qu’insensées (un peu comme Larry David dans Curb Your Enthusiasm, mais en plus ghetto) ; Earn (Glover), son cousin et manager, qui essaye tant bien que mal d’utiliser son intelligence, jamais vraiment exploitée auparavant, pour s’épanouir ; Darius (LaKeith Stanfield), leur ami complotiste et défoncé, mais aussi bizarrement sage et bienveillant ; Vanessa (Zazie Beetz), mère de la fille d’Earn qui cherche sa place dans le monde sans être définie par son rôle de parent ou par sa relation avec Earn. Après deux saisons focalisées sur l’évolution des personnages et sur des sujets comme le racisme, la violence policière, les relations parentales et de couple et, en moindre mesure, l’industrie musicale ; la série produite par FX s’est arrêtée pendant quatre ans, avant de revenir avec une troisième saison encore plus audacieuse. 

Dans les dix épisodes qui composent cette saison 3, on retrouve le même ton léger et souvent comique utilisé par les auteurs pour aborder des sujets très sombres, ainsi que l’élément qui a toujours rendu Atlanta vraiment originale : sa dimension surréaliste assez proche du cinéma de Jordan Peele. En revanche, cette fois, ces choix stylistiques sont poussés à l’extrême aux dépens d’une intrigue feuilletonnante riche et même de ses propres protagonistes. En effet, après quatre ans d’attente, Atlanta a redémarré avec un épisode où les personnages de la série laissent place à des figures nouvelles et des situations totalement inédites. Au fil du programme, on se rend rapidement compte que c’est le leitmotiv de la saison : un épisode sur trois est un court-métrage autonome, sans lien précis avec le récit principal de la série. Ces épisodes – Three slaps, The Big Payback, Trini 2 De Bone et Rich Wigga Poor Wigga – ont pour thématique prédominante la relation problématique, souvent floue et (selon l’imaginaire onirique d’Atlanta) interchangeable entre les noirs et les blancs aux États-Unis. Les scénaristes de la série se servent de faits divers horribles – un couple de femmes blanches qui adoptent des enfants noirs pour les exploiter (Three slaps) – ou de concepts paradoxaux – grâce à un précédent judiciaire, tous les afro-américains peuvent demander des millions de dollars à des blancs dont l’ arbre généalogique comporte des esclavagistes (The Big Payback) – pour bouleverser toute idée reçue et toute narration enjolivée sur le sujet, sans jamais arrêter de divertir le public. Ce refus de la pédagogie ou d’une posture morale se reflète aussi sur le reste de la saison, qui suit les mésaventures des protagonistes dans les moments de pause d’une tournée européenne. 

Alors qu’ils se retrouvent à errer dans les rues d’Amsterdam, Londres, Budapest et Paris, toujours confrontés à des situations tellement étranges et inexplicables qui semblent sortir des pages de Nadja d’André Breton, d’autres sujets émergent subtilement du récit. Le plus explicite est sans doute celui de la cancel culture, qui semble désormais assez métabolisé pour être raconté de manière intéressante dans l’art (comme par exemple dans le dernier album de Kendrick Lamar, sorti simultanément à Atlanta). Donald Glover et les autres auteurs de la série ont fait un choix qui pourrait sembler courageux ou problématique selon le point de vue qu’on a sur le sujet : ils ont d’abord choisi de ne pas cacher certaines dérives du « wokisme » et puis d’aborder cette thématique directement avec des célébrités « cancelled » à travers des caméos dans les épisodes. D’un côté, cette idée de donner la parole à des personnes qui ont exprimé des idées intolérantes peut évidemment sembler injuste. Pourtant, ça n’arrive pas tous les jours de faire avouer son racisme à Liam Neeson pendant qu’il joue son propre rôle dans une comédie fabriquée quasi-exclusivement par des afro-américains : cette liberté créative et cette audace permettent peut-être d’affronter certaines discussions sans mettre leur complexité sous le tapis et sans se renfermer dans des bulles d’opinions qui empêchent toute communication avec l’extérieur. 

Il n’est jamais facile de raconter à travers la fiction les drames et les absurdités qui touchent quotidiennement son propre pays, sans que cette opération devienne didactique, banale ou tout simplement déplacée. Après cette troisième saison, Atlanta confirme encore une fois qu’il y a une manière efficace d’y parvenir, qui passe par l’ironie, par la légèreté et le surréalisme.

Atlanta / De Donald Glover / Avec Donald Glover, Brian Tyree Henry, LaKeith Stanfield, Zazie Beetz / États-Unis / 10 x 35mn / 2022.

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