
Tout part d’un fait divers : deux jeunes gens s’égarent dans le désert, un seul s’en sort. De là, Gus Van Sant s’emploie à tisser puis à détisser les liens d’une amitié presque anonyme et muette.
Quoi de mieux qu’un désert, l’épuration absolue en quelque sorte, pour explorer le plus profondément une relation. Face au rien qui les entoure, Gerry et son ami Gerry s’enfoncent dans leur égarement, une forme d’épreuve ultime dont ils ne sortiront pas indemne. C’est tout ce que promet le film de Gus Van Sant, c’est tout ce qu’il nous donne à vivre. Loin du spectaculaire auquel on pourrait s’attendre, c’est tout en sensations que se déploie le film. L’ouverture en donne le ton : une voiture sur une route qui s’éloigne et se rapproche de la caméra, d’abord le silence, puis la musique, le violon qui accompagne chacun des virages, la mélodie qui donne l’allure, une chorégraphie lente qui se construit sous nos yeux. Dans la voiture, deux jeunes hommes, Casey Affleck et Matt Damon, dans un silence contemplatif, font corps avec leur voyage. Ce même voyage qui se prolongera au-delà de leur volonté va permettre au cinéaste de dessiner en creux, toujours dans une certaine retenue, une amitié que l’on sent naturelle, une symbiose qui dépasse les conflits, qui ne se dit pas, qui se sent.
Le couple d’acteurs joue le presque non jeu, dans un naturalisme poussé à l’extrême. Chaque expression, démarche, micro-mouvement devient, pour le spectateur à l’affût, des éléments d’une caractérisation puissante, indicible puisque purement physique, sensitive. La caméra suit ces personnages, Van Sant choisit souvent dans ses plans-séquences de laisser s’opérer un ballet, celui d’une marche cadencée, qui se synchronise ou se désynchronise au gré des humeurs, qui laisse une liberté infinie aux déplacements des corps pour finalement devenir bien plus révélatrice que toutes les discussions. Pourtant, quelques mots sortent, souvent vains. Ils participent eux aussi d’une caractérisation minimaliste et pourtant si efficace, un humour fin qui se distille même dans les pires situations, un sens de la décision démocratique et une vraie écoute de l’autre qui nous pousse à une attention toute particulière.
Gerry, ce sont deux acteurs qui dansent sans le savoir sur une immense scène dont le décor joue le troisième rôle. Le cinéaste saisit les corps toujours dans leur rapport avec les paysages, en en exploitant le maximum, tirant des lieux des ambiances mais surtout de vrais ressentis, de chaleur, de beauté, de vide et d’infini. D’une course entre les buissons à des ombres qui se traînent dans l’étendue blanche d’un désert de sel, le film et ses personnages avancent jusqu’à l’épuisement. Pour peu qu’on accepte de le suivre, il ne nous laissera pas de côté.
Gerry / De Gus Van Sant / Avec Matt Damon, Casey Affleck / Etats-Unis / 1h43 / Sortie initiale le 3 mars 2004. Ressortie le 17 août 2022.