As Bestas

Au cinéma le 20 juillet 2022

© Lucia Faraig

Portrait d’un couple de jeunes retraités français installés depuis peu dans un petit village de Galice. Olga (Marina Foïs) et Antoine (Denis Ménochet) rénovent leur propriété, cultivent la terre, refusent les OGM ou tout produit chimique de synthèse et vendent le fruit bio de leur labeur au marché : le rêve de tout bobo qui se respecte, en somme. La force de ce film émane du fait que la rudesse et les travers de ce tableau idéaliste d’un anticonformisme devenu à la mode sont dans un second temps mis en exergue.

Dans leur espagnol encore imprécis, et alors qu’Antoine ne maîtrise pas les subtilités de prononciation de la langue entre « science » et « essence », son savoir et ses connaissances générales sont justement mises à mal par la nature des choses. Les dissonantes notes de violon de la séquence d’ouverture oscillant entre graves et aigus expriment l’état de cette grinçante situation, alors que l’une contre l’autre, s’esquintent deux idées, mais aussi deux hommes, deux milieux sociaux, deux pays. Les violons, comme les hommes, sont désaccordés.

Car celui qu’on appelle avec rejet « le français », uniquement défini par son appartenance à la nation qui l’a vu naître, s’oppose à la construction d’un champ d’éoliennes dans son village. Xan (Luis Zahera) et Lorenzo (Diego Anido), frères et habitants du lieu depuis toujours sont amadoués par les sommes astronomiques avancées par les promoteurs. Alors que le couple est le dernier à refuser de signer cet accord, les deux voisins entament une répétition d’actions violentes et outrageantes à leur égard.

As Bestas rend compte par les images de l’angoissante expérience du harcèlement. Alors que les policiers n’interviennent pas, Antoine entreprend de filmer chaque altercation à l’aide d’une caméra, irremplaçable moyen de défense de l’homme moderne, et dont la nature de l’image, l’archive, fait état d’un présent déjà passé. Sorogoyen questionne la place et les droits de l’étranger mais également la notion de propriété ainsi que sa limite. « On est pas venus pour faire la guerre » explique le couple considéré comme l’envahisseur. Les villageois espagnols s’indignent que des français installés ici par l’inspiration du désir puissent, au même titre qu’eux, exprimer leur opinion quant au devenir de leurs terres. Olga et Antoine ne comprennent pas quant à eux que l’argent soit prétexte à la destruction du paysage magique qu’ils ont désormais adopté.

As Bestas est un film d’aujourd’hui, inscrit dans le paradigme d’une société européenne à l’ère où sévit le réchauffement climatique. Il y a opposition entre les revenants d’un « monde civilisé » fantasmant un retour à la nature et les oubliés du système qui revendiquent à leur tour le droit de pouvoir, un matin, se réveiller dans l’ailleurs qui serait le leur. Une opposition sur fond d’injustice à couper le souffle.

As Bestas / De Rodrigo Sorogoyen / Avec Marina Foïs, Denis Ménochet, Luis Zahera, Diego Anido / Espagne, France / 2h17 / Sortie le 20 juillet 2022.

Auteur : Lise Clavi

Lise. Fondamentalement indécise, mais de cinéma, définitivement éprise. Mon année à travailler pour des festivals cinématographiques, mon temps libre à cultiver mon intérêt pour l’actualité artistique. Décoller vers une nouvelle destination pour filmer de nouveaux horizons.

2 réflexions sur « As Bestas »

  1. Tu as raison Lise, il s’agit bien d’un choc de mondes, traité par un scénario habile de Sorogoyen et Isabel Peña qui inverse les polarités, qui joue à front renversé. Là où on attend du paysan qu’il défende l’intégrité de la terre, il est au contraire le premier à réclamer sa part de profit, avide de projets urbain. Au contraire, l’urbain, ici doublé d’un étranger à la nationalité défavorablement appréciée localement (le passif historique remonte dès la première scène de bistrot) se veut chevalier du paysage, champion du retour à la nature. Habité par la vision d’une agriculture moralement irréprochable, il se présente presque comme missionné pour montrer la voie du bio. Antoine est un idéaliste qui n’est pas différent du Jean de Florette imaginé par Pagnol, il souffrira des mêmes brimades, l’hypocrisie en moins. Mais au delà de cette opposition morale, de ce conflit de légitimité, il y a la résilience d’une femme admirable, magistralement incarnée par Marina Foïs. Une place essentielle, et une interprétation qui mérite d’être saluée.
    Merci pour ce moment de lecture, et bravo pour ce vibrant article en tout cas.

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