L’Étrange festival 2022

28e édition

Hot Blooded de Cheon Myeong-Gwan, l’un des nombreux représentants du cinéma d’action sud-coréen dans cette édition © Finecut Co.

24 000 spectateurs se sont rendus dans les salles du Forum des Halles pour découvrir les films de L’Étrange festival. Pour sa 28ème édition, le festival affiche une fréquentation en hausse, nécessaire et méritée. Retour sur quelques moments marquants.

La programmation de cette nouvelle édition est, comme souvent à L’Étrange festival, éclectique : 12 longs-métrages en compétition, des cartes blanches, des programmes de courts-métrages, des avant-premières, des séances spéciales et une liste interminable d’invités de marque. Il y en a étrangement pour tous les goûts.

On peut dans un premier temps souligner plusieurs projections de films de la sélection cannoise : Hunt de Lee Jung-jae ; La femme de Tchaikovsky, de Kirill Serebrennikov ; mais surtout Sans Filtre de Ruben Östlund, Palme d’or cette année. Devant une salle plein à craquer, le réalisateur est venu présenter son nouveau film choc. Au lieu d’une minute de silence pour honorer la mort récente de l’actrice principale Charlbi Dean, il demande une minute de bruit ; un bel hommage, auquel lui seul pouvait penser. Les spectateurs ont par la suite pu découvrir sa nouvelle satire, plus tyrannique, plus dramatique que ses précédentes. Le réalisateur peint au vitriol un portrait des riches, beaux et puissants. Des capitalistes, des mannequins et des vendeurs d’armes sont sur un bateau…

Woody Harrelson est le capitaine du film Sans Filtre de Ruben Östlund © Bac Films

Mais l’Étrange festival c’est une chose et son contraire. En parallèle des films d’auteur connus des cinéphiles et festivaliers aguerris, on y retrouve de l’action et de la science-fiction peu exigeante, parfois à outrance. Le plus représentatif de ces super-productions grand public est sans doute Project Wolf Hunting de Kim Hong-seon. Le film affiche une violence décomplexée et exagérée avec fierté ; une transparence dans son projet, finalement assez jouissive. Mais si le film se démarque c’est qu’il reflète également un autre aspect de cette programmation, à savoir une sur-représentation du cinéma sud-coréen, plus ou moins instructive. Au cours des différentes présentations, les organisateurs du festival ont effectivement pu vanter l’originalité et la qualité du cinéma sud-coréen, justifiant sa prédominance dans les différentes sélections. Pourtant, l’échantillon de films présenté cette année s’est avéré assez standardisé. Si Hot Blooded de Cheon Myeong-Gwan séduit grâce à son rythme parfaitement géré et The Roundup de Lee Sang-yong par son capital sympathie, difficile d’en dire de même pour Spiritwalker de Yoon Jae-keun ou Alienoid Choi Dong-Hoon qui suivent les codes du cinéma américain à la lettre. Pour un festival consacré à l’étrange, il est dommage de donner autant de visibilité à un cinéma certes étranger, mais somme toute assez convenu.

Pourtant, on y trouvait bien cette année aussi des œuvres internationales qu’on s’aventure à voir et qui s’aventurent elles aussi hors des sentiers filmiques bien tracés. C’est le cas du film qui s’est vu décerner le Prix du public : La fuite du capitaine Volkonogov de Natalya Merkulova et Aleksey Chupov ; que le jeune mais déjà immense acteur russe Yuriy Borisov venait présenter. Une purge Stalinienne à l’imagerie punk. Un ovni de cinéma sur un tueur en quête de rédemption. Un film à la fois brutal et sensible, qui se remarque de par la rudesse de son sujet et l’inventivité de sa mise en scène. Certains films de genre ont eux aussi su tirer leur épingle du jeu, comme Ne dis rien de Christian Tafdrup et Life for sale de Tom Teng, qui présentent tous les deux une jolie descente aux enfers de leurs protagonistes. Le premier joue parfaitement des angoisses liées à la faiblesse bourgeoise tandis que le second, bien plus inégal, possède quelques beaux moments de pure horreur. Enfin, il faut saluer Zeria de Harry Cleven, qui s’est fait remarquer par sa poésie et sa créativité visuelle. À la fois film de genre et réflexion sur les souvenirs, mélange entre stop-motion et prises de vue réelles, c’est exactement ce que l’on espère trouver dans un tel festival : un film mystérieux et radical.

Le Prix du public revient à La fuite du capitaine Volkonogov, de Natalya Merkulova et Aleksey Chupov © Kinovista

Mais comme souvent, il fallait se tourner vers les différents programmes de courts-métrages pour trouver de vrais gestes libres. Outre les réalisateurs déjà connus du grand public (Yann Gonzalez, Olivier Smolders et Patrick Bokanowski), mentionnons quelques coups de cœur en vrac. Présenté en séance d’ouverture, The Diamond de Vedran Rupic est une comédie suédoise absurde montrant l’amitié entre un vieil homme asocial et un minuscule être claustrophobe. Le film a provoqué quelques fous rires par la gratuité de certains gags, tout en impressionnant par l’ambition de quelques plans : mentionnons ce passage dans lequel le protagoniste enfonce sa main dans la terre et que la caméra recule, dévoilant une installation transparente qui n’est pas sans rappeler les films de Karel Zeman. Moins original mais tout aussi drôle, Claudio’s Song de Andreas Nilsson montre deux gangsters séquestrer un influenceur qui prend soudainement conscience de la vacuité de son mode de vie. Avant de mourir, le jeune homme entame un air ensuite repris par les ravisseurs, qui traversera l’espace-temps. En plus d’être drôle et touchant, ce court-métrage ukrainien porte une réflexion étonnamment poétique sur ce qu’il reste de nous après la mort.

Dans un univers tout droit sorti du Cheval de Turin mélangé à une esthétique arty à la A24, Culling de Matty Crawford est assurément un des poids lourds de la compétition. Tournant autour d’une métaphore très simple, le film explore la culpabilité et les pulsions violentes d’un fils envers son père, dans une atmosphère très sombre illustrée par un noir et blanc somptueux. The Vandal d’Eddie Alcazar partage la même noirceur, mélangeant la stop-motion et la prise de vue réelle pour partager la psyché ravagée d’un homme lobotomisé qui s’est reconverti dans le vandalisme de musées. Ces deux courts-métrages ne donnent qu’une envie : voir leurs réalisateurs passer au long.

L’un des temps forts des programmes courts : Culling de Matty Crawford © Matty Crawford

Pour finir, mentionnons trois étrangetés françaises tout à fait charmantes. SOS Extase d’Esteban Sanchez del Rio a su nous convaincre avec ce monde bizarre, organique, sensuel et burlesque qui n’est pas sans rappeler le travail de Yann Gonzalez. The Dream Machine de Michael William West offre quant à lui un pur moment d’horreur dont seul le cinéma expérimental est capable, à l’image du génial Dream Enclosure de Sandy Ding. Enfin, Bassins d’attractions de Jonathan Pepe a été un véritable coup de cœur : court-métrage expérimental en animation constitué de scans 3D d’objets, on y suit deux créatures flottantes faire un film dans un étrange bassin. Un véritable trip plus proche de l’art vidéo que du cinéma.

Du côté patrimoine, difficile de ne pas mentionner la superbe rétrospective consacrée à Masahiro Shinoda. Cinéaste japonais relativement inconnu du public français – à notre plus grand désarroi. Avec une œuvre hétérogène, le réalisateur s’affirme comme un maître absolu et inégalé dans tous les genres auxquels il s’essaye. Notre coup de cœur : Fleur Pâle. Son yakuza eiga sombre et mélancolique est un immanquable chef-d’œuvre. Costumes somptueux, décors pluvieux et acteurs majestueux portent ce jeu mortel d’ombres et de lumières. Shinoda filme la déambulation nocturne de personnages en quête de d’existence, quitte à l’atteindre à travers la mort.

L’Étrange festival a donc l’avantage encore une fois de rappeler que les bizarreries sont toujours cachées et ne demande qu’à être découvertes. En l’occurrence, cette année elles ne se trouvaient peut-être pas dans les films en compétition mais plutôt dans les différents programmes de courts-métrages ou les rétrospectives.

L’une des plus belles découvertes de cette édition : Fleur pâle de Masahiro Shinoda © Shōchiku

Palmarès de l’Étrange festival :

Grand Prix nouveau genre long-métrage : Sick of myself de Kristoffer Borgli.

Prix du public long-métrage : La fuite du capitaine Volkonogov de Natalia Merkulova et Alekseï Chupov.

Grand Prix court-métrage : Airhostess-737 de Thanasis Neofotistos.

Prix du public court-métrage : Plan-cul cul-cul de Alexandre Vignaud.

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