Rencontre avec : Sébastien Betbeder

© Chloé Caye

Sébastien Betbeder a su s’imposer et se démarquer dans le paysage audiovisuel français. Drôles ou désarmants, ses films s’associent sans jamais se ressembler. Ils composent une carte du tendre réinventée, plus sinueuse mais aussi plus colorée. Sa dernière création : Tout fout le camp, peint le portrait aussi doux que dingue d’un groupe d’êtres humains (pas tous) en vadrouille dans le nord de la France. Rencontre !

Quel a été le point de départ de Tout fout le camp ?

Au départ, il y eu ma rencontre avec Usé. Il faut savoir que dans le film, il joue son propre rôle. Tout ce qui est rapporté de son passé et de sa personnalité sont à 80% vrais : il est musicien, il s’est porté candidat à l’élection municipale d’Amiens et il a été élu personnalité de l’année par le Courrier Picard. J’avais entendu parler de cette histoire d’élection municipale mais je le connaissais surtout par sa musique, que j’aimais beaucoup. Tout le monde me disait que tant que je ne l’avais pas vu en concert je ne pourrais pas vraiment savoir qui il était. Un jour, l’occasion s’est enfin présentée : je trouve la performance superbe, je reçois une émotion extrêmement forte et, surtout, j’éprouve tout de suite le désir de le filmer. Et plus précisément de le filmer avec Thomas Scimeca. Je trouvais des liens entre les deux, des ressemblances physiques qui me faisaient dire qu’il y avait une possibilité de créer un duo comique. Je voulais faire une comédie un peu différente de ce que j’avais fait jusqu’à présent, pousser le curseur beaucoup plus loin que d’habitude. J’avais aussi dans mon tiroir ce personnage de mort-vivant que je n’arrivais jamais à placer dans aucun de mes films. C’était l’occasion de combiner des choses qui en apparence n’avaient pas forcement de lien entre elles : confronter le réel de ce personnage qu’est Usé à des événements plus surnaturels. 

Vos scénarios se construisent-ils souvent autour d’un personnage ?

Ma façon d’écrire est toujours la même : dans les premiers mouvements d’écriture je ne veux rien m’interdire, je me laisse guider par les personnages. Je ne les écris pas avant mais une fois que je commence à travailler sur le scénario, je suis très attentif à eux, presque plus qu’au récit. La façon dont ils se construisent va créer des arborescences du récit et le jeu c’est de les suivre, quitte à se perdre. Ça donne des scénarios parfois très longs et touffus donc le gros du travail consiste ensuite à gommer, recomposer, équilibrer. Mais j’ai besoin de cette liberté là.

Qu’en est-il des acteurs ? Les avez-vous déjà en tête au moment de la conception du scénario ?

Sur ce film c’était très particulier car j’avais déjà Usé et Thomas en tête mais aussi Marc Fraize, pour qui j’ai écrit le personnage qu’il incarne. L’idée au cœur de Tout fout le camp était vraiment d’inviter des gens que j’aime beaucoup dans mon univers. Pour les autres films, c’est très différent, voire le contraire : très souvent je me refuse de penser à des comédiens pour ne pas me laisser influencer par leur personnalité.

Les lieux où se déroulent l’intrigue ont toujours une importance fondamentale dans vos films. Pourquoi avoir choisi Amiens ?

Cela me semblait naturel étant donné que je m’appuyais sur la réalité de ce personnage. Ça aurait été trahir l’aventure de cette campagne municipale que de la recréer autre part. C’est aussi une ville que je ne connaissais pas mais que j’aime beaucoup. On en entend énormément parler à la télévision ou la radio comme étant un lieu du monde ouvrier, un lieu de lutte social fort. C’est une ville très engagée politiquement. En plus, c’est la ville de Macron ! Ça faisait beaucoup d’éléments dont il aurait été dommage de se priver. Mais c’est vrai qu’à un moment dans ce faux road movie, ou plutôt ce road movie contrarié, on ne sait plus vraiment où on est. Et pour pouvoir partir dans ces lieux d’incertitude il me fallait aussi, à l’inverse, un repère, un ancrage très local : le film commence et termine à Amiens.

Le film nourrit un certain effet de surprise qui ne s’estompe jamais. Vous permettez-vous des moments d’improvisation lors du tournage ?

Pas du tout ! C’est un terme que je n’utilise jamais pour mes films. Cela ne veut pas dire qu’il n’y a pas une grande liberté du jeu du comédien mais le film était néanmoins très écrit. Même si les choses paraissent assez folles, le film a sa propre logique interne. C’est une logique presque mathématique qui régit ce qui arrive aux personnages. Sachant ça, il fallait être très exigeant pour l’écriture et la direction d’acteur. Mais l’avantage pour ce film est que les rôles principaux sont tenus par des acteurs que je connais bien, surtout Thomas. Même s’il fait tout le temps la gueule quand je lui propose un rôle avec ce prénom qui est le sien, ce qui est beau dans notre relation c’est qu’il me laisse lui voler des choses assez intimes pour construire le film.

Thomas Scimeca dans Tout fout le camp © Rezo Films

Le temps de la parole et celui des silences sont cruciaux dans vos films : quelle importance accordez-vous aux rythmes ?

Je prépare énormément mes films. D’abord tout seul puis avec le chef opérateur en fonction des lieux qu’on a choisis en repérages. Je travaille même le découpage du film en amont. Je réfléchis à la durée des plans et la façon dont je vais laisser place à des regards, des silences. J’aime beaucoup instaurer des silences entre deux paroles ou deux actions. Au cinéma, j’adore quand un personnage en regarde un autre sans que celui-ci s’en aperçoive, cela crée immédiatement une connivence avec le spectateur. 

Les silences ont leur importance mais le son en a une toute aussi notable. Pourquoi avez-vous choisi de l’accentuer de la sorte dans Tout fout le camp ?

Je travaille avec le même ingénieur du son / monteur son / mixeur depuis très longtemps. Quand le temps le lui permet, il fait tout sur mes films : de la prise de son au mixage. C’est très important parce que ça lui permet de connaître par cœur les rushs du film. Étant donné qu’il a suivi tout le processus, on peut aller beaucoup plus vite et, surtout, beaucoup plus loin sur tout ce qui est rajout de sons. Et c’est quelque chose qui me semble assez indispensable dans une comédie. Il y a tout un rôle dédié aux bruitages dans le film. Par exemple, on a passé un temps fou sur le cri du zombie ! C’était un mélange de son direct, ce que Jonathan Capdevielle a fait lors du tournage, de sons empruntés à des films de zombies et de mon ingénieur du son qui s’est amusé avec sa propre voix. Il y a de très nombreuses couches de son superposées.

Les musiques additionnelles sont aussi très présentes. Comment s’effectue leur sélection ? 

Il y a bien sûr la musique qu’Usé a composée pour le film. Elle est à la fois très belle et très importante. On s’était mis d’accord sur les influences communes et surtout celle de François de Roubaix, qui est présente dans tous mes films. Nous avions cette envie d’une musique très littéraire, qui peut exister au même titre que les autres éléments du film. C’est ensuite au montage que j’ai vraiment travaillé à associer les musiques additionnelles à des scènes précises du film. Presque tous les rôles principaux sont portés par des hommes et pourtant c’est un film que j’ai voulu féminin. En tout cas, au cœur du récit il y avait l’idée de ces garçons qui vont vers le féminin. Cela faisait partie du projet : un dépassement de l’amitié qui devient presque de l’amour. Et ça m’embêtait de laisser au personnage de Marilou la seule part féminine dans le récit. C’est pourquoi au moment du montage j’ai pensé que ce serait beau d’avoir uniquement des voix féminines. En m’imposant cette règle j’ai pu resserrer ma sélection au mouvement yéyé des années 60, dont la couleur et le côte vintage sciaient parfaitement au sujet du film. Ensuite, je me suis aussi amusé à créer des liens entre les paroles et les scènes. C’était très beau de pouvoir se permettre tout ça !

Un autre élément sonore récurrent dans vos films est la voix-off, qu’est ce qui vous parle dans ce procédé ?

C’est le côté très littéraire du film. Alain Resnais, un cinéaste que j’adore, utilise beaucoup ce procédé. À vrai dire, moi je ne me pose pas beaucoup la question : c’est très souvent une évidence. Là je savais que le film allait avoir plusieurs fins et qu’elles devaient être portées par le personnage de Thomas. Car ce n’est pas pour rien s’il est journaliste : c’est celui qui va réinterpréter le réel et le communiquer au public. En fait, c’est presque mon alter ego dans le film. 

Tout fout le camp est actuellement à l’affiche.

Propos recueillis par Chloé Caye le 10/09/2022 dans le cadre de la 28ème édition de l’Étrange Festival, à Paris.

Auteur : Chloé Caye

Rédactrice en chef : cayechlo@gmail.com ; 31 rue Claude Bernard, 75005 Paris ; 0630953176

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