
« Et un grand signe apparut dans le ciel : une femme revêtue du soleil, et la lune sous ses pieds, et sur sa tête une couronne de douze étoiles ».
À l’origine, « Stabat Mater » signifie la mère était là. À l’origine, il y a la mère donc, corps féminin sacré, racine de l’humanité. C’est la maternité immaculée, produit de l’imaginaire collectif occidental, rappelle la comédienne, metteur en scène, performeuse et chercheuse brésilienne Janaina Leite. Une maternité qui s’oppose essentiellement à la sexualité des corps impudiques : ces corps là ce sont ceux des parjures, des anges déchus, depuis toujours et encore maintenant. Stabat Mater, c’est une plongée à la fois actuelle et intemporelle dans l’expérience du corps féminin.
Au travers d’une conférence-performance, Janaina interpelle le public sur une mise en lien possible entre maternité et sexualité, présentées comme inenvisageables au sein du même corps dans la culture occidentale. Projeté en fond de scène, le diaporama malmène les corps : féminin déstructuré, disséqué, démembré, les images ne nous épargnent pas la manière dont le cinéma d’horreur et la pornographie conçoivent les femmes qui ont pêché. La sexualité doit engendrer douleur et punition ; n’est-ce pas là le propos lancinant des slashers ? À ces corps marqués succède celui de la Vierge, corps non plus saigné mais soigné, corps de tous les fleurissements. C’est là que la performance commence : Janaina, mère, artiste, femme, s’engage à accueillir maternité et sexualité au creux de son propre corps. Performance de pole dance, acteur pornographique et lecture de textes sacrés, la recherche artistique déborde très vite de la revendication politique pour s’égarer dans un au-delà : bientôt, l’on glisse vers une réflexion qui tend à la métaphysique, puis à la psychanalyse. Dès lors, le spectacle s’avère plus difficile à comprendre : il n’a de cesse d’ouvrir des portes sans jamais les refermer. Cette pièce n’est en fait qu’une étape du processus global de recherche artistique de Janaina, et c’est ce que confirmera l’artiste à l’issue de la première : « à la base, c’est une idée abstraite : rassembler sur scène ma mère, et un acteur porno ».
Car le Stabat Mater, c’est aussi la présence sur scène de sa propre mère, témoin de tous les actes sur le corps de Janaina. Que ce soit pour faire le récit de ses traumatismes de jeune fille ou bien pour filmer son duo avec un acteur porno, la mère est assistante inconditionnelle de la fille tout au long de la performance.
Comme pour tout ce qui dérange, les grandes portes du Carreau du temple auront battu plusieurs fois pendant la représentation. Mais c’est bien de cela qu’il s’agit : déranger, rechercher, et pour cela complexifier les liens entre intime, collectif, représentation et expérience. Stabat Mater est un carrefour, et surtout, un trésor d’expérimentations esthétiques échappant à toutes catégories.
Stabat Mater / De Janaina Leite/ Avec Janaina Leite, Amalia Fontes Leite, Lucas Asseituno / Traduction de Thomas Resendes / 1H50 / 18 et 19 octobre au Carreau du Temple.