
Dahmer – Monstre : l’histoire de Jeffrey Dahmer retrace la vie du tueur en série, de son enfance à sa mort, ses actes connus du grand public comme (et surtout) ses plus anecdotiques.
Ryan Murphy prend les rênes de la série avec un talent certain : le père de American Horror Story tire de bonnes leçons de David Fincher et applique une esthétique soignée, sobre, excellant à poser une ambiance oppressante tout en restant mesurée. Au rythme posé de la série s’ajoute une appréciable économie de mots et de gestes, laissant aux acteurs exprimer toute leur aisance, en particulier celle de l’acteur principal Evan Peters et de son père à l’écran, Richard Jenkins.
On pourrait craindre un déchaînement vain de violence gore mâtiné de sensationnalisme malsain, et c’est avec plaisir que la série évite cet écueil pour se concentrer sur la violence psychologique du tueur, à la fois celle qu’il inflige à ses victimes et contre lui-même. Dans une structure non-chronologique jonglant entre les différentes périodes de sa vie, le portrait fragmenté qui en émerge nous interroge : Jeffrey Dahmer est-il né monstre ou est-il créé ? Question piège, puisque Ryan Murphy préfère insister sur l’humain, névrosé et pathétique, caché derrière le tueur. Question aussi évacuée très tôt, tant les pulsions meurtrières du tueur ne découlent d’aucune genèse raisonnée et salvatrice.
Au portrait de Jeffrey Dahmer se superpose alors celui des États-Unis de la seconde moitié du XXème siècle avec ses tensions raciales, sa libération sexuelle et l’écho lointain du Vietnam. Cette Amérique en pleine mutation, quand elle n’est pas critiquée par son incapacité à prévenir à temps la pathologie meurtrière de Jeffrey, est même parfois représentée comme le deuxième coupable officieux. Ainsi, Dahmer, mobilisé de force par son père pour qu’on lui inculque la discipline, ne retient de sa formation que le somnifère qu’il utilisera contre ses victimes.
Passés quelques épisodes esthétiquement réussis, la série s’essouffle : les épaules de Jeffrey Dahmer se révèlent bien fébriles pour porter dix longs épisodes. Les meurtres s’enchaînent et semblent suivre une routine aussi malsaine que peu inspirée. Les victimes deviennent des outils maladroits pour nourrir un ton mélodramatique tandis que l’atmosphère pesante n’est plus que lenteur navrante. Dahmer perd le contrôle de son sujet et se déchire entre sincère ambition de rendre hommage aux victimes et thriller paradoxalement bien sage.
Color of Change, association non lucrative pour la lutte des droits civils, a suivi l’écriture de la série pour s’assurer que Dahmer ne manque pas de considération envers les familles des victimes. Intention louable, mais si Ryan Murphy a l’honneur de conclure sa série par les photographies des dix-sept hommes tués, au fond, elle n’est pas nommée à leur nom…
Dahmer – Monstre : L’histoire de Jeffrey Dahmer / De Ryan Murphy / Avec Evan Peters, Richard Jenkins / USA / Saison 1 / 10 épisodes / Disponible sur Netflix.