Charlotte

Au cinéma le 9 novembre 2022

© Nour Films

Le film s’ouvre sur un sentiment d’urgence. Une jeune femme, Charlotte Salomon, fourre des centaines de feuillets dans une valise qu’elle confie à un homme. Prenez-en soin, lui demande-t-elle, c’est toute ma vie. Et ce littéralement : cette valise, c’est plus de mille peintures, retraçant tous les souvenirs de cette jeune artiste juive allemande. Une œuvre titanesque, souvent considérée comme le premier roman graphique, qu’elle a peinte en quelques mois, peu de temps avant sa mort à Auschwitz.

La passion artistique de Charlotte Salomon grandit en même temps que les rues de Berlin se couvrent de drapeaux nazis, et si son talent lui vaut d’être acceptée à l’Académie des Beaux-Arts malgré les interdictions antisémites, elle finit par en être expulsée au bout de quelques années. Le début de la guerre et l’arrestation de son père la forcent à s’exiler en France, où elle s’occupe de sa grand-mère malade et de son grand-père tyrannique. Les drames historiques se mêlent ainsi à ceux personnels en une succession implacable, et pourtant Charlotte Salomon continue à vivre. Deux ans avant sa mort, elle commence l’œuvre de sa vie, Leben ? Oder Theater ?,  »La vie ? Ou le théâtre ? », animée par une force inconnue, un compte à rebours qu’elle sent décroître et qui la pousse à peindre, encore et encore, avant qu’il ne soit trop tard.

Une telle vie exige une adaptation qui puisse retranscrire dignement la violence et la dureté de ce que Salomon a enduré, ainsi que la force avec laquelle elle a résisté. Pourtant, c’est à travers une animation simpliste qu’Eric Warin et Tahir Rana décident de raconter cette histoire. On voit une petite fille aux grands yeux innocents et aux lèvres roses déambuler au milieu de paysages et de personnages tous aussi sages les uns que les autres. Là où Salomon affirme que l’art se doit de réinventer ses propres règles à chaque instant, l’animation reste lisse et égale. Là où elle n’hésite pas à déformer les traits de ses sujets pour en accentuer l’horreur ou la douceur, là où elle mélange poésie et musique dans ses dessins, l’animation n’en conserve que de lointains échos, bien vite oubliés derrière un style plat et figé. La magie survient quand les peintures de l’artiste envahissent l’écran, en traits désordonnés qui se déploient jusqu’à former des personnages, des décors, aux arêtes abruptes et distordues, à travers lesquelles on sent la douleur viscérale de celle qui les a peintes. À côté, les personnages avec leurs grands yeux et leurs cheveux bien plaqués sur la tête semblent fades, incapables de transmettre la véritable importance de l’histoire qu’ils portent.

Si cette animation infantilisante a le mérite de ne pas faire tomber le film dans le mélodrame larmoyant – et la caméra se détourne avec pudeur des moments les plus sombres – on ne peut que regretter que l’histoire s’en retrouve diminuée. Les dialogues souvent clichés et certaines faiblesses scénaristiques ne font que renforcer cette impression. Le film est toutefois sauvé par la personne même de Salomon, par la beauté hypnotique de ses gouaches, et par les images d’archives qui viennent le clore et rendent aux protagonistes toute leur profondeur.

Charlotte / De Eric Warin, Tahir Rana / Avec Marion Cotillard, Keira Knightley, Romain Duris / France / 1h32 / 9 novembre 2022.

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