Le Roi Lear

Comédie-Française

© Comédie-Française

C’est la sixième fois qu’Ostermeier tente de disséquer âme humaine et enjeux politiques au travers de la plume de Shakespeare. Mais cette fois, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas : les deux heures quarante-cinq dans la salle Richelieu paraissent longues, bien trop longues pour être convaincantes.

La première image du spectacle se fonde sur une lecture dramaturgique pertinente de l’œuvre : perché sur un trône isolé au milieu d’une lande marécageuse, le roi Lear lègue de son vivant son pouvoir à ses trois filles, en échange de leur déclaration d’amour. Le choix d’un décor sans stricte séparation entre les espaces intérieurs et extérieurs illustre bien l’enjeu du texte de Shakespeare : comme pour le palais et la lande, il y a porosité entre l’intérieur et l’extérieur des personnages, entre l’intime et le politique. La scénographie installe judicieusement un espace scénique carrefour : d’enjeux de pouvoirs, d’enjeux personnels et affectifs et plus globalement d’état d’âme de personnages en errance. Dès la première scène, le décor se place donc comme terreau fertile pour la folie exposée dans le texte, folie à cultiver dans la mise en scène.

Seulement voilà, mise à part quelques sursauts, cette folie reste timide, sage. C’est décevant. Ce décor nu appelle à de la frénésie dans la performance : il n’y en a que très peu, l’immobilité est trop présente, et la tension dans les corps manque d’évidence. Le texte lui-même ne prend pas de place sur le plateau : la traduction en prose d’Olivier Cadiot ne résonne pas assez sur scène pour justifier une telle immobilité des acteurs. L’émancipation prise par rapport au texte d’origine tente, mais échoue à redonner vie : les interjections triviales et spontanées des acteurs, tout comme l’improvisation de Christophe Montenez face public, ne suffisent pas à capter notre attention sur le long terme. L’ensemble de ces éléments génère finalement un vide sur scène qui se traduit dans la réception par un manque de rythme : la pièce s’allonge et l’errance est réelle.

Si le jeu des comédiens, trop prudent, peine dans la globalité à redonner de la puissance à l’œuvre, il faut néanmoins s’incliner devant la performance de certains, dont la présence sur scène est un délice absolu pour le public. En effet, l’épisode de la rencontre entre Lear et le personnage d’Edgar, interprétés respectivement par Eric Génovèse et Noam Morgensztern, échappe aux faiblesses du reste de la pièce pour notre plus grand plaisir. Le duo délirant brille et crève la scène, souligné par le choix d’une esthétique impressionniste établie par une caméra braquée en gros plan sur leurs visages : les acteurs se lâchent, enfin, et à ce moment précis tout le burlesque profondément humain de Shakespeare semble être saisi. Si cette scène ne suffit pas à rééquilibrer le reste de la pièce, elle nous donne un aperçu de ce que la pièce aurait pu être si Ostermeier avait lâché les chiens et s’était autorisé au grand Shakespeare.

Le Roi Lear/ William Shakespeare/ Mise en scène de Thomas Ostermeier/ Dramaturgie et assistanat à la mise en scène d’Elisa Leroy/ Traduction d’Olivier Cadiot/ Avec Eric Génovèse, Denis Podalydès/ Stéphane Varupenne/ Christophe Montenez/ Jennifer Decker/ Noam Morgensztern/ Julien Frison en alternance avec Gaël Kamilindi/ Marina Hands/ Claïna Clavaron/ Séphora Pondi/ Nicolas Chupin/ 2h45/ Du 23 septembre 2022 au 26 février 2023/ Salle Richelieu, Comédie Française

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