
Au-delà de son évidente virtuosité, la filmographie d’Ulrich Seidl est un support passionnant pour questionner l’éthique au cinéma. Si certains voient le réalisateur comme un être en souffrance face à la détresse humaine, il est difficile de ne pas lui reconnaître un certain goût pour la moquerie. Le paroxysme du sadisme avait été atteint en 2014 avec Sous-sols, dans lequel la caméra se délectait d’exhiber les déviances de ses acteurs sans jamais tenter de les comprendre. Paradoxalement, c’est dans la fiction que le cinéaste est le plus tendre, en témoigne la trilogie Amour : chaque personnage est repoussant à sa façon, mais les rapports de domination pèsent sur eux avec une telle violence qu’on se refuse de les juger.
À l’image de Hong Sang-soo, Ulrich Seidl répète une seule et même formule qu’il décline en de discrètes variations : regard désabusé et nihiliste sur le monde, protagoniste marginal dans un univers visuel marqué, longs plans fixes distanciés ou caméra à l’épaule, collée aux personnages ; en somme, une montée en puissance dans la perversité. C’est donc un cinéma extrêmement codifié qui retrouve une certaine pureté dans sa façon de transmettre une vision du monde : tout est une question de regard, de rapport à ses personnages et de situations.
La principale originalité de ce Rimini, est de se retrouver avec un protagoniste moins repoussant qu’à l’accoutumée. Ce gigolo-chanteur est effectivement un artiste raté, mais sa sincérité émeut plus qu’elle ne consterne ; on se moque bien plus de ses groupies qui le traitent comme une bête de foire et le fétichisent. Le personnage est présenté endeuillé et en famille, complice avec son frère et accompagnant son père atteint de démence. Sa réaction quand il retrouve sa fille est lâche mais parfaitement humaine, c’est un père rongé par les regrets. On ne peut lui reprocher que deux choses : son racisme, constamment désamorcé par l’humour, et son mépris parfaitement compréhensible envers certaines de ses clientes.
Il serait donc faux de prétendre qu’Ulrich Seidl cherche uniquement à humilier Richie. Si la mise en scène est distante et les scènes de sexe sont sans désir, c’est car nous sommes avant tout dans un cinéma qui explore les rapports de domination. La ville de Rimini, station balnéaire hors-saison, est filmée comme un désert sordide aux horizons limités. Le personnage exploite son peu de gloire pour vendre son corps, en recherche constante d’argent. Il y a évidemment une certaine outrance, mais elle est ne sert qu’à retranscrire la souffrance et ne tombe jamais dans le spectaculaire : lorsque Richie sombre dans l’immoralité, c’est presque en coup de vent, précédant une conclusion douce-amère.
Une fois de plus, Ulrich Seidl raconte comment la dureté de la vie rend les Hommes dégueulasses et dépeint un monde où tout n’est que solitude, détresse et regrets. La sexualité ne joue pas le rôle d’exutoire, mais devient au contraire le reflet de cette misère humaine. On peut se réjouir qu’un cinéaste désormais habitué aux grands festivals garde sa virulence et sa radicalité sans tomber dans une posture moraliste de bas étage.
Rimini / De Ulrich Seidl / Avec Michael Thomas, Tessa Göttlicher, Hans-Michael Rehberg / 1h56 / Autriche, Allemagne, France / Sortie le 23 novembre 2022.