
Comédie absurde sur deux femmes prises dans la crise économique en Espagne, le premier film d’Amalia Ulman est un petit condensé d’humour noir. Leo, jouée par la réalisatrice, est revenue de Londres et de ses études de stylisme pour retrouver sa mère Maria, jouée par Ale Ulman, après la mort de son père. Les deux femmes, habituées à un train de vie fastueux, mais désormais sans travail – et sans volonté d’en trouver un – continuent à vivre comme si de rien n’était alors que les ressources se raréfient. On aurait tendance à dire que la pauvreté est un fait économique ; elles vous répondraient que ce n’est qu’un état d’esprit auquel elles ne s’abaisseront pas.
»Moins fort, il y a des voisins ! », dit Maria aux deux policiers venus l’arrêter, avant de les faire patienter sur le pas de la porte pendant qu’elle se recoiffe. Tout est affaire d’apparences dans le monde d’Ulman. Une femme en manteau de fourrure et lunettes de soleil est en réalité ruinée, un dragueur dans une supérette cache un employé Balenciaga avec femme et enfant, un rendez-vous dans un café peut servir à déterminer le prix d’une golden shower. Le monde moderne dominé par l’image, il est impossible de se fier à qui que ce soit. Si la ville est parfaitement propre, toute en lignes droites et compositions symétriques, c’est pour mieux cacher une misère immense – à l’image des cheveux courts de Leo, un carré net critiqué par les hommes qu’elle rencontre, mais qu’elle a choisi pour dépenser moins d’eau en se lavant.
Dans ce monde cynique et faiseur, le couple formé par la réalisatrice et sa mère est une bouffée de fantaisie que l’on accueille avec joie. Elles s’aiment comme on aime un membre de sa famille avec qui on est forcé de partager un lit et une cuisine ; avec des disputes, des grognements et un réel souci l’une pour l’autre. C’est quand elle est en peignoir, les traits tirés, en train de congeler ses ennemis et de lancer des sorts aux hommes qui font du mal à sa fille, que la mère est réellement touchante. La sorcière est plus vraie que l’arnaqueuse, la magie plus digne de confiance que la photo Instagram. Mais le doute sur son amour pour sa fille plane jusqu’à la fin ; les appels sans réponse de Leo devant une porte fermée nous laissent sur un vide plus tragique que comique.
»La gauche républicaine manifeste. Ils demandent plus d’emplois. La famille royale a répondu aux manifestants en les saluant poliment », raconte une présentatrice de journal télévisé devant des images d’archives alors que le générique de fin défile. Rappel que cette comédie noire est bien ancrée dans la réalité, et que les scènes qui ont défilé pendant une heure vingt ne sont peut-être pas si absurdes qu’on pourrait le croire. Le temps s’étire, un peu trop parfois, à l’image de ces moments gênants où le ridicule d’une situation nous frappe de plein fouet sans que l’on puisse rien y faire. A travers le noir et blanc et les transitions appuyées entre les plans, le film insiste sur sa facticité – mais c’est pour mieux nous renvoyer à la réalisation glaçante que cette vie fausse et absurde, c’est bien celle que nous vivons tous les jours.
El Planetà / de Amalia Ulman / avec Amalia Ulman, Ale Ulman / 1h20 / Espagne / sortie sur Mubi le 16 novembre 2022.