
Le dernier film de Jafar Panahi nous arrive alors que le cinéaste est retenu captif depuis le 11 juillet dernier. Une œuvre sensible et pertinente, si ce n’est prémonitoire, sur la situation iranienne actuelle.
Depuis ses débuts, le cinéma de Jafar Panahi sillonne l’Iran pour mieux en montrer les tensions. On retrouve dans ce film le même mouvement, celui d’un déplacement physique sur le territoire même du conflit, qu’il soit intérieur ou extérieur. Le lieu détermine et reflète les contradictions, les oppositions, soit les tensions internes aux individus et à la société iranienne dans son ensemble. Ici Panahi s’intéresse à la question du départ, l’action se déroule donc près d’une frontière. Un lieu flou, invisible à l’œil nu, que l’on traverse sans s’en rendre compte, ou plutôt que l’on nous laisse ou non traverser. D’où la question de la possibilité de l’évasion : qui peut s’évader ?
Dans la pure tradition du cinéma de Panahi depuis sa première condamnation en 2011, le cinéaste se met en scène lui-même pour tenter de répondre à cette question. Il se filme ainsi réalisant un film à distance sur le dilemme d’un véritable couple voulant fuir l’Iran pour Paris mais dont un seul a le faux passeport nécessaire. Ce couple, qu’il dirige par visioconférence à quelques kilomètres des lieux de tournage dans un petit village montagnard, illustre le propre dilemme de Panahi : partir tant qu’il en a le temps ou rester et risquer le pire.
Ce second lieu, le village où le réalisateur réside, est aussi illustrations et sources de conflits. Il s’agit d’une prolongation de la mise en abyme ; la question de l’image devient centrale au sein de cette micro-société traditionaliste dans laquelle il élit domicile, comme une réduction du problème plus général que pose l’image dans une société iranienne qui se renferme. Dans les deux cas, le problème est ramené à celui d’un choix, qui finit par se poser au cinéaste lui-même, entre raison et sentiments, entre convictions et craintes. Le tout se cristallisant autour d’une double romance cachée.
Le film est sous-tendu par les mêmes combats qui parcourent le cinéma de Panahi : une attention toute particulière à la situation féminine ; une mise en exergue de la dureté et du poids des traditions dans les campagnes, ainsi que de sa position sociale, figure marginale mais disposant d’une certaine aura. Notons également une fin significative dans la filmographie du cinéaste, presque prémonitoire, plus amère et résignée qu’à l’accoutumée, n’augurant rien de bon pour l’Iran et le cinéaste. Ce projet artistique et militant qu’il mène d’arrache-pied depuis tant d’années, espérons en voir le bout.
Aucun Ours / De Jafar Panahi / Avec Jafar Panahi, Mina Kavani et Vahid Mobasheri / Iran / 1h47 / Sortie le 23 novembre 2022.