
Sur le modèle du théâtre nô, forme artistique patrimonialisée du Japon, Kaori Ito et Yoshi Oïda nous livre une fable délicate et poétique, toute en image. L’histoire, c’est celle d’un vieux balayeur et d’une danseuse. Il tombe amoureux d’elle, mais elle est trop belle, trop jeune pour lui. Elle accepte de le suivre à condition qu’il la fasse danser sur un tambour. Le tambour qu’elle lui donne est revêtu de soie, ce qui rend la tâche impossible.
Comme le veut la tradition de ce théâtre, l’intrigue est simple, elle laisse de l’espace à la pantomime dansée et à la mise en place d’une atmosphère particulière sur scène. Le musicien, la danseuse et l’acteur composent dans un décor épuré, autour d’objets quotidiens : un balai, une table, un poste de radio. Mais la dimension poétique est ancrée par les bandes de tissus suspendues en fond de scène et qui se déploient jusqu’au sol. Lumières et matières s’assemblent en reflets et jouent sur l’imagination du public pour créer une atmosphère de conte et d’irréel. Le Nô s’écarte un peu de ses critères formels : ici, pas de masque, simplement le visage de Yoshi Oïda, marqué par le temps, qui nous renvoie finalement à une réflexion plus profonde sur l’écoulement de la vie. Enfin, le kimono en soie portée par la danseuse est la preuve ultime de l’importance accordée à la composition de l’image : quand elle danse on ne voit qu’elle, et le vieux balayeur tombe aussitôt dans la solitude et l’oubli, et par celle qu’il convoite, et par le public. Ainsi, la scénographie s’attache avec beaucoup de délicatesse à illustrer le conte japonais qui a inspiré l’intrigue.
Mais c’est sans doute les qualités de corps qui sont le point le plus réussi de la pièce, puisqu’elles s’adaptent à l’univers musical. Yoshi Oïda ponctue la démarche lourde d’un corps qui peine à traverser la scène par le vers d’un poème à la diction ralentie : « Naissance, souffrance, la vie ». Kaori Ito choisi sa danse en fonction des différents instruments du musicien et de l’image mentale qui les accompagne. Si elle associe à la flûte un corps léger, aérien, en suspens, c’est la danse sur le tambour qui est la plus impressionnante. Le corps s’étire dans les silences, comme la peau du tambour qui résonne, puis se relâche brutalement au moment du son. Outre le soin porté au geste, le traitement de l’espace est lui aussi réussi. Le tambour de soie c’est une pièce courte, au travail scénique de grande qualité et qui donne une belle leçon d’humilité aux tendances esthétiques contemporaines. Une pièce à l’image de sa dernière danse : un corps cloué au sol qui tourne autour d’un axe, rappelant ainsi la forme circulaire de l’instrument.
Le tambour de soie / Mise en scène de Yoshi Oïda et Kaori Ito/ Avec Yoshi Oïda, Kaori Ito et le musicien Makoto Yabuki/ 1h/ Nanterre-Amandiers du 10-26 novembre 2022.