
Six mois après Incroyable mais vrai, nous revoilà déjà sur la planète Dupieux. Une escale obligée chaque année, à laquelle on consent, pour peu qu’on soit un fervent zinzinphile, sans bouder son plaisir. Alors devant une bande de couillons en lycra bleu et jaune qui corrige une invraisemblable tortue géante, un casting « de malade[s] » et un rat répugnant version scabreuse de Splinter des Tortues Ninja doublée par Chabat, dur de faire la fine bouche.
Avec ce Fumer fait tousser, Dupieux parvient à concilier avec brio deux registres de son cinéma qui depuis quelques films semblaient se concurrencer, à savoir celui de l’absurde et celui de la fable, lequel commençait d’empiéter sur l’autre avec Mandibules. Cette fois, le récit cadre du séminaire des super-héros, congédiés par leur boss afin qu’ils se ressoudent, se présente en lieu de l’absurde enchâssant une série de fables à la loufoquerie noire et grand-guignolesque narrés au coin du feu façon Contes de la crypte. Sa verve délaissée dans Incroyable mais vrai, qui lorgnait davantage du côté d’une dramaturgie fabulaire et plus conventionnelle, Dupieux la retrouve dans ce terrain de jeu narratif aux personnages pops et décérébrés, aussi grisant que grinçant.
Car à travers la capsule nostalgique puisant dans la série Z et la télé des eighties, l’amour du geste parodique (Les Contes de la Crypte donc, mais aussi Bioman ou encore le Slasher movie), l’univers régressif en carton-pâte et la jubilation mise en abyme de l’acte de raconter, se décèle un nœud d’inquiétudes et de crises : l’abêtissement généralisé, le travail qui broie (littéralement) l’individu, la difficulté à faire groupe, la crainte de la fin du monde, etc. La réplique finale de l’ersatz de Sidéro (San Ku Kaï, 1978) qui répète en boucle « changement d’époque en cours » doit ainsi moins s’interpréter comme le regret d’un impossible retour à un temps révolu que comme l’angoisse d’un avenir obscur. Nul doute, on est bien chez Dupieux, dont l’absurde réjouissant n’a jamais été que l’enrobage déjanté d’un profond désenchantement.
Fumer fait tousser / De Quentin Dupieux / Avec Gilles Lellouche, Vincent Lacoste, Anaïs Demoustier, Jean-Pascal Zadi, Oulaya Amamra / France / 1h20 / Sortie le 30 novembre 2022.